Page:Le Tour du monde - 15.djvu/115

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grandes pièces, on eût cherché vainement un banc pour s’asseoir.

Par égard pour la nuance de ma peau, les métis m’installèrent dans la plus grande pièce, qu’ils nommaient la salle d’honneur, et dont tout le confort consistait en un sol carrelé. Avec des feuilles vertes et des chiffons, je parvins à me composer une couche passable, mais moins douillette cependant que le sable des plages chauffé par le soleil du jour.

Au milieu de la nuit et comme je rêvais de cieux propices et de mondes féconds, des plaintes inarticulées me réveillèrent en sursaut. Selon la coutume du pays une lampe brûlait à côté de ma moustiquaire, je la pris pour aller à la recherche de l’être humain qui geignait de la sorte. En errant de chambre en chambre, j’avisai une porte basse pratiquée dans l’angle d’un mur ; je la poussai. Cette porte ouvrait sur un chenil obscur d’où sortit une vapeur chaude et nauséabonde qui me prit à la gorge et me fit reculer. Au fond de ce trou sans air et sans lumière, un homme agonisait dans un hamac ; les plaintes que j’avais entendues étaient les dernières qu’il dût proférer en ce monde. Un râle précurseur de la mort, venait de le saisir, son pouls que je touchai, battait à peine ; une sueur visqueuse mouillait son front ; je lui parlai, mais sans qu’il me répondît ou parût m’entendre. Dans l’idée que la vue du ciel ou l’influence d’un air pur pourrait le ranimer, j’ouvris brusquement une espèce de vasistas pratiqué dans le mur intérieur de la loge. Un rayon de lune chargé d’aromes pénétrants, vint se jouer sur la face du moribond dont les muscles faciaux tressaillirent comme pour me remercier.


Indien Barré.

Ce malheureux mourut au petit jour. C’était un Indien de la nation Mirañha, esclave ou serviteur du commandant d’Ega. Atteint depuis six mois d’une consomption lente qui ressemblait fort à l’étiolement produit par la nostalgie, son maître, en homme humain et charitable, avait cru pouvoir le guérir du mal sans nom dont il souffrait, en l’envoyant respirer l’air salubre de Tunantins. J’ignore si les restes du Mirañha furent confiés à la terre ou absorbés par les poissons ; j’opine néanmoins pour ce dernier mode d’inhumation, la paresse des deux métis ayant dû reculer devant la fatigue de lui creuser dans le sol une sépulture.

Au sortir de la rivière Tunantins dont le lecteur peut suivre le tracé sur notre carte, ce qui nous évitera l’ennui d’en parler, nous allâmes tomber sur l’Amazone au milieu du plus inextricable archipel que la plume d’un chorographe ait jamais décrit ou tracé. Aujourd’hui, pour ne pas douter de son existence et nous rappeler le nombre de ces îles et leurs noms prodigieux de Barataria, Itapeüa, Ivirateüa, Tinboteüa, etc., etc., nous sommes obligé de dérouler notre carte du fleuve. Sans cette précaution, il nous semblerait avoir été le jouet d’une hallucination géographique.

Trois jours entiers nous louvoyâmes à travers cet archipel fantasque, longeant, doublant ou évitant les baies, les caps, les promontoires qui accidentaient sa physionomie. Le troisième jour, nous laissions derrière nous l’île Cacao, la plus grande du groupe, et ralliant la rive droite de l’Amazone, nous allions reconnaître l’embouchure de la rivière Jutahy.

Ce nom de Jutahy lui vient d’une variété de palmier,