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dans une cabane isolée, où, le moment venu, des matrones vont l’assister. Huit jours après son accouchement, elle est reconduite par ses aides au logis conjugal, ou les objets à son usage sont détruits, comme impurs, et remplacés par des objets nouveaux.

Les Mesayas dissèquent leurs morts, en brûlent les chairs et ne conservent d’eux que leurs ossements, qu’ils peignent en rouge et en noir et placent dans des jarres qu’ils ferment hermétiquement. Ces jarres sont enfouies par eux dans un endroit de la forêt, et, hors les cas d’inhumation qui les appellent en ce lieu, ils s’en écartent avec soin, dans l’idée que l’âme du décédé, dépossédée du corps qu’elle habitait et en cherchant un autre, ne manquerait pas de s’introduire en eux, ce qui ferait double emploi d’âmes pour un seul corps et deviendrait gênant.

À cette monographie des Umaüas-Mesayas, nous rattacherons une courte notice sur les Mirañhas, à qui, depuis des siècles, ils font une guerre acharnée. Si l’état d’abjection dans lequel ceux-ci sont tombés et leur division en castes partielles[1] ne leur permettent plus, comme autrefois, de rendre à l’ennemi œil pour œil, dent pour dent, selon l’antique loi en vigueur au désert, ils y suppléent en les haïssant de toutes leurs forces.

Établie dans l’intérieur du Tapura à l’époque de la conquête portugaise, la nation Mirañha, dont aucun historiador lusitanien n’a fait mention, fut une de celles que les Portugais et leurs descendants pourchassèrent plus volontiers que d’autres, à cause de l’étrange douceur de ses individus qui les rendait propres au métier d’esclaves. Rien de plus simple que le moyen dont on usait pour s’emparer d’eux. Quelques hommes résolus partaient de Caysara, d’Ega ou de Coary dans une grande embarcation, n’emportant d’autres armes que des rouleaux de cordes de palmier. Ils traversaient l’Amazone, remontaient le Japura dont les détours leur étaient familiers, s’introduisaient par une nuit obscure, dans un affluent de cette rivière et, débarquant sans bruit, se dirigeaient sous bois vers une maloca ou village d’Indiens Mirañhas. Là, chacun d’eux faisait choix d’une hutte, y mettait le feu et se postait devant son seuil. Réveillés par l’incendie, les Mirañhas tentaient de fuir ; mais l’individu les happait au passage et, sans mot dire, leur attachait les mains derrière le dos. Cette razzia opérée, nos chasseurs d’hommes, poussant devant eux le troupeau captif, regagnaient leur embarcation. Il n’était pas rare de voir une douzaine de ces singuliers recruteurs ramener une trentaine de Mirañhas.

Mais ces indigènes brusquement arrachés à la vie libre du désert, ne s’accoutumaient qu’avec peine à leur nouvelle condition ; la nostalgie enlevait les vieillards, pendant qu’une fièvre lente ou un ténesme occasionné par l’usage de la farine de manioc et du poisson salé, consumait la plupart des adultes ; seuls les enfants, avec l’insouciance et l’appétit propres à leur âge, s’accoutumaient au régime du pira-rocou et de l’esclavage, et perdaient bientôt le souvenir de leurs forêts natales.

Divisée en plusieurs tribus, comme nous l’avons dit, la nation Mirañha est encore nombreuse malgré les persécutions dont elle a été l’objet pendant plus de deux siècles. Ses représentants actuels occupent, entre la rive droite du Japura et le lit de l’Amazone, un espace de quelque cinq cents lieues carrées, où au dire des riverains du fleuve, ils sont si bien à court de moyens d’existence, qu’il leur arrive quelquefois, poussés par la faim, de manger leurs malades et leurs vieillards.

Pour se procurer des vivres, car la culture leur est antipathique, les Mirañhas chassent aux oiseaux, aux serpents, aux insectes. De grands filets qu’ils fabriquent avec des folioles de palmier, leur servent à barrer le lit d’un igarapé ou le goulet d’un lac, de façon à retenir captif jusqu’au menu fretin. Ces maigres ressources sont les seules dont ils disposent. Depuis longtemps, leur territoire est dépeuplé de tapirs, de pécaris, de singes et de grands rongeurs, et le jaguar, assure-t-on, a cru devoir s’en bannir de lui-même, pour échapper aux poursuites d’un ennemi, bien plus avide de sa chair que de sa fourrure. Quand les Mirañhas n’ont rien à mettre sous la dent, ce qui leur arrive cinq jours sur sept, ils s’attaquent aux arbres et en mangent l’écorce.

Si ces malheureuses tribus, bravant la faim constante qui les ronge, continuent d’habiter un pays appauvri, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, par vénération pour le sol où dorment leurs aïeux, mais bien parce que leur réputation d’anthropophagie, méritée ou non, les a rendues odieuses à tous leurs voisins qui les tiennent, pour ainsi dire, en charte privée. Le jour où les Mirañhas tenteraient de sortir de chez eux pour aller se fixer ailleurs, celle des nations limitrophes sur le territoire de laquelle ils mettraient le pied, s’armerait aussitôt pour les forcer à rebrousser chemin.

Le type Mirañha, dont nous donnons un spécimen, page 134, peut être étudié sur nature sans qu’il soit nécessaire de faire un voyage dans l’intérieur du Japura. On trouve à Cayçara, Ega, Nogueira et Coary, bon nombre d’individus de cette nation, provenant non plus de razzias, mais de transactions commerciales, car avec le temps, il s’est opéré un progrès notable dans la façon des riverains de se procurer des serviteurs de race Mirañha ; au lieu de les voler comme autrefois, ils les achètent. Est-ce à la sévérité des mesures prises à cet égard par le gouvernement brésilien, qu’on doit attribuer cette amélioration de procédés ? Est-ce au démembrement de la nation Mirañha et à la difficulté qu’éprouvent aujourd’hui les recruteurs à opérer sur des nations disséminées, difficulté qui les oblige à entrer avec elles en accommodement ? Nous ne savons ; mais ce dont nous sommes très-sûr, c’est que les habitants

  1. Le territoire que la nation Mirañha occupa longtemps en entier a été réparti entre les tribus de sa provenance. Au nom patronymique qu’elles ont conservé, ces tribus ont joint un qualificatif qui les fait reconnaître entre elles et par lequel les riverains les désignent communément. Il y a la tribu des Mirañhas-Erêtés ou vrais Mirañhas, celle des Mirañhas-Carapanas ou Mirañhas-Moustiques, les Mirañhas-Pupñuas ou Mirañhas mangeurs de drupes du palmier Pupuña (latania), les Mirañhas-Sègés, ainsi nommés d’un affluent du Japura sur les bords duquel ils sont établis, etc., etc.