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sil à la république du Pérou, et de mettre en relations de commerce et d’intimité deux peuples faits pour s’estimer et se comprendre.

D’après ce système, — certains diraient notre système, — les navigateurs brésiliens et autres, au lieu de remonter le cours du Purus jusqu’à sa naissance et de s’aller casser le nez contre une ramification de la Sierra d’Apolobamba, ce que leur conseillaient depuis plus d’un siècle — sans mauvaise intention d’ailleurs — les voyageurs de tout âge et de tout pays, ces navigateurs n’auront qu’à passer du lit du Purus dans celui du Conihua son tributaire, et à remonter ce dernier pour trouver le passage longtemps cherché et réaliser leur chimère.

En attendant que ce système ait été sanctionné par la science et vulgarisé par les cartographes, nous l’avons appliqué à notre tracé général des affluents inexplorés de l’Amazone, où chacun peut voir une ligne de points rattacher le Conihua, tributaire principal du Purus, à la Madre de Dios issue des vallées péruviennes.

Maintenant rentrons dans le fleuve dont cette digression nous a tenu si longtemps éloigné, et continuons de suivre sa rive droite, basse, sablonneuse et bordée sur une longueur de dix lieues, de roseaux et de cécropias.

À cinq lieues de l’embouchure du Purus, nous relevons tour à tour, en passant, les bouches de trois canaux qui rattachent cette rivière à l’Amazone. Les deux premiers, appelés Periquito et Paratari, sont fort étroits et portent les eaux du Purus à l’Amazone ; le troisième canal qui a nom Cunabaca et dont le lit est plus large du triple que celui de ses deux voisins, porte au contraire les eaux de l’Amazone à la rivière des Purus.

À ces canaux succèdent les deux lacs-rivières de Manacari et Manacapuru. Le premier est situé sur la rive droite de l’Arnazone, le second sur sa rive gauche ; tous deux sont pourvus de canaux-trompes qui font communiquer leurs eaux noires avec l’eau jaunâtre du fleuve.


Sépultures d’Indiens Manaos.

Près du goulet de Manacapuru, sur un renflement de la berge, s’élèvent cinq maisonnettes blanches dont les volets sont clos à l’heure où nous passons. C’est tout ce qui reste de l’ancien village de Pesquero dont le nom portugais indique la destination. Au dix-huitième siècle, un détachement de soldats Tapuyas était adjoint à la population du lieu pour l’aider dans la pêche et la salaison du poisson destiné à l’alimentation des troupes cantonnées dans l’intérieur du Rio Negro. Que de milliers de lamantins et de pira-rocou ont péri dans ces Feyturias ! À ceux qui ne comprendraient pas ce mot portugais, d’une élasticité comparable à celle du caoutchouc local, nous dirons qu’il exprime à la fois la capture, l’éventrement, la salaison et la transformation du poisson vivant en stock-fish.

Une île de six lieues de tour, appelée Manacapuru, barrait autrefois tout ce côté de l’Amazone. Ses forêts, d’essences diverses, abritaient contre les vents du sud et du sud-ouest, les plus froids de ceux qui soufflent dans ces contrées[1], le village-poissonnerie de Pesquero Une déviation des courants du fleuve a fait le malheur de cette île ; ses contours, battus en brèche par le flot, ont été si bien élimés, effrités, amoindris, que la géante

  1. Ces vents de la Cordilière règnent ordinairement de juin à juillet et se font sentir dans la Plaine du Sacrement et jusque sur le Haut-Amazone. Leur action est très-variable ; quelquefois ils tempèrent simplement la chaleur du jour et donnent aux matinées et aux soirées un peu de fraîcheur. D’autres fois il déterminent un abaissement de température assez prononcé pour obliger les indigènes à allumer de grands feux pour se réchauffer. En certaines années exceptionnelles, où la neige tombe abondamment dans la Sierra, le refroidissement subit des affluents qui y ont leur source, tue ou engourdit beaucoup de petits poissons qu’on voit flotter le ventre en l’air et dont les Indiens font leur nourriture.