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s’exercer ? Les épargnes des ouvriers sont reçues par l’établissement, quand ils jugent convenable de les lui confier, et on leur en sert l’intérêt. Il y a aussi une caisse d’épargne au Creusot.

Le travailleur creusotin, qu’on le prenne dans la mine, la fouderie|fonderie, la forge, l’atelier mécanique, est le soldat de l’industrie, sans cesse exposé. Comme nous l’avons dit, dans l’industrie, de même que dans la guerre, la vie de l’homme est toujours en jeu. Pour ce soldat, le Creusot a tout fait. Malade, blessé, l’ouvrier reçoit les soins gratuits du médecin, du chirurgien, les remèdes, une espèce de demi-solde pendant toute la durée de son chômage. Il entre gratuitement à l’hôpital, à moins qu’il ne préfère être soigné chez lui. La caisse de secours, fondée sur le principe fécond de la mutualité, et à laquelle les directeurs de l’usine apportent généreusement leur quote-part, pourvoit à tous ces frais. Pour les ouvriers infirmes ou trop vieux, elle se transforme en caisse de retraite ; aux veuves, aux orphelins, elle assure une pension, un asile ; à tous, quand la mort vient, les plus décentes funérailles.


Lamineur de la forge à l’anglaise. — Dessin de A. de Neuville d’après F. Bonhommé.

Jusqu’ici nous avons vu tous les besoins du corps satisfaits. On a répondu non moins libéralement à tous ceux de l’esprit. Des écoles ont été fondées pour les filles et pour les garçons. L’obligation et la gratuité de l’instruction n’ont pas été admises comme principe ; mais on a presque rendu l’instruction obligatoire, en ne recevant dans l’usine que des enfants qui savent lire et écrire ; on l’a presque rendue gratuite, en n’exigeant des parents que la plus minime rétribution, 75 centimes par mois, et en exonérant de cette redevance les familles trop pauvres ou trop chargées d’enfants. Jamais difficulté n’a été plus heureusement tournée.

Les écoles où se dispense l’instruction primaire ne suffisant pas, on a fondé aussi des cours d’adultes. À celui qui n’a pas pu ou qui n’a pas voulu, étant jeune, s’abreuver à la source féconde de l’instruction, il faut offrir les moyens de s’y désaltérer plus tard. Un moment vient, que l’on soit ouvrier ou bourgeois, où l’on comprend tous les bienfaits de l’éducation, et l’indispensable nécessité qu’il y a dans ce monde à ce que chacun possède sa part de connaissances intellectuel]les. Un bagage de cette espèce, pour mince qu’il soit, est loin de gêner. Voilà pourquoi on fonde partout des cours d’adultes, et le Creusot n’a ou garde de les négliger. Pour entretenir la flamme ainsi allumée chez tous, il a fondé enfin des bibliothèques. Il ne suffit pas de savoir, il faut lire, il faut augmenter chaque jour, s’il est possible, ses connaissances de la veille, et puis le livre n’écarte-t-il pas l’ouvrier du cabaret ? Lire est ici d’un double avantage.

L’éducation professionnelle dont on a tant parlé chez nous il y a deux ans, sur laquelle on a tant écrit, sans même pouvoir s’entendre, sans même arriver à définir exactement ce que l’on prétendait dire par ces mots, l’éducation professionnelle est la base de l’instruction que l’on donne au Creusot. L’on n’a pas discuté ici pour savoir si l’école devait être dans l’atelier, ou l’atelier dans l’école, de l’école on passe à l’atelier, et réciproquement. La lecture, l’écriture, le calcul, puis un peu de grammaire, d’histoire, de géographie, sont enseignés à tous. Après viennent la géométrie, le dessin linéaire, qui sont dans l’usine d’une application continue, et qu’il est par conséquent indispensable de connaître. Dans cette trituration, dans ces épreuves préliminaires, des aptitudes spéciales, des sujets plus intelligents que les autres se révèlent. On met immédiatement ceux-là en apprentissage dans les ateliers ; quelques-uns sont envoyés, aux frais du Creusot, dans des écoles spéciales, comme celles des arts et métiers, et ils en reviennent tout prêts à faire un jour des contre-maîtres accomplis.

C’est par cette rigoureuse discipline donnée au corps et à l’esprit, que le Creusot a assuré son recrutement. Il y a longtemps qu’on l’a dit : c’est le maître qui fait l’ouvrier. Jamais l’attention des chefs ne s’est un instant démentie sur aucun point, et ils ont pu peupler sans effort leurs vastes ateliers, comblant les vides, suppléant à tous les besoins, sans avoir un seul jour manqué de sujets intelligents. Il y a ici pour le moraliste une étude du plus haut intérêt, étude à faire sur le vif, et sur laquelle nous appelons aussi toutes les méditations de l’ingénieur et de l’économiste.

Les besoins du corps et de l’esprit si amplement con-