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portion fabuleuse la production de la fonte ; Assailly, Lorette, Saint-Chamond et Rive de Gier, usines de MM. Petin et Gaudet, en adoptant hardiment les procédés de l’Anglais Bessemer, et en laminant ces énormes plaques de blindages, en martelant ces arbres de couche gigantesques, qui ont fait la fortune de ces hardis industriels, et si largement développé notre marine à vapeur commerciale ou militaire.

Au milieu de tous ces grands progrès, le fer a baissé de valeur ; on en a vu le prix diminuer d’un tiers en six ans ; ainsi les fers à rails valent aujourd’hui 180 à 190 francs les mille kilogrammes ; ils en valaient 250, en 1860. Ce fait économique est un résultat de l’augmentation énorme de production ; il prouve, dans tous les cas, que nos hauts-fourneaux ne sont pas près de s’éteindre, puisque nos usines produisent plus et vendent à meilleur marché, sans perdre.


Télégraphie centrale de l’usine du Creusot. — Dessin de A. de Neuville d’après F. Bonhommé.

On dirait que ces baisses de prix diminuant naturellement le gain, forcent le producteur, pour travailler toujours avec profit, à rechercher les meilleures combinaisons possibles ; sans cela il s’engourdirait dans une nonchalante sécurité. Le progrès industriel n’a-t-il donc lieu qu’au prix d’une menace incessante de ruine, loi qui semble rappeler quelques-unes de celles de la nature où le mal amène si souvent le bien ? Les petits ont dû fatalement céder ici le pas aux grands, et dans cette espèce de lutte pour l’existence, les modestes forges au bois qui, depuis des siècles, à l’ombre de leurs forêts, fabriquaient toujours les mêmes fers suivant d’antiques méthodes, ont dû fermer à jamais leurs portes. Le métal était de qualité supérieure, mais cher ; il a fallu éteindre les fourneaux devant les baisses de prix et la production toujours plus élevée des concurrents. C’est la loi fatale du progrès de froisser toujours quelques intérêts privés : les chemins de fer ont tué les diligences et les maîtres de poste. Mais c’est aussi une loi du progrès, qu’il ne peut faire son évolution qu’au milieu de grandes difficultés. Qui a fait découvrir à notre époque la machine à vapeur, les chemins de fer, la locomotive, les machines marines, sinon le besoin de lutter victorieusement contre des conditions défavorables ? À quoi sont dues les étonnantes transformations de la forge du Creusot, et les merveilleux résultats dont nous venons de retracer l’histoire, si ce n’est à des causes analogues ?

L. Simonin.

(La fin à la prochaine livraison.)