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prendre au dépourvu, avait compris dès 1858 que le salut n’était que dans une transformation radicale, et cette transformation il l’a hardiment opérée sans un instant d’hésitation. La vieille forge, que d’autres nécessités forçaient aussi à déplacer, a été reconstruite avec une ampleur sans exemple.

La France, à laquelle le Creusot s’était adressé jusque-là pour l’exploitation et l’achat des minerais, n’a plus été la seule pourvoyeuse de l’usine, et l’on est allé jusqu’à l’île d’Elbe, jusqu’en Afrique, demander à des mines inépuisables le complément ou les qualités qui manquaient.

Le Creusot, dont les machines avaient jusqu’alors régné presque sans rivales sur les divers marchés français, mais dont les fers n’avaient pas joui encore de beaucoup de crédit, est maintenant arrivé à fabriquer des qualités exceptionnelles.

Il y a peu de forges qui puissent aujourd’hui entrer en lutte avec lui surtout pour les qualités courantes ; en outre, les quantités produites ont été presque doublées.

En même temps qu’on a modifié si profondément les hauts-fourneaux et la forge, on a apporté dans la confection des machines plus de soins encore s’il était possible que par le passé.


Maître forgeron au marteau-pilon de la forge de grosses-œuvres. Dessin de A. de Neuville d’après F. Bonhommé.

On a diminué les prix de revient et par conséquent les prix de vente. Le Creusot s’est ouvert ainsi les marchés étrangers même ceux d’Angleterre, et une partie de ceux de la Méditerranée. Sa position au centre de la France lui permet d’ailleurs d’atteindre facilement tous nos ports par les canaux, les rivières et les railways. Mais les fournitures britanniques, quelques commandes dans les escales méditerranéennes ne doivent point suffire à l’ambition du Creusot. Il doit porter ses vues plus loin. Il lui faut adresser maintenant jusqu’en Asie et en Amérique les spécimens de ses machines, ne fût-ce que dans l’Amérique du centre et du Sud et dans la partie des Indes qu’occupent les Français, les Portugais et les Espagnols. Les pays de race latine, quand ils ont le choix entre l’Angleterre et la France, préfèrent s’adresser à celle-ci. Il est bon de ne pas l’oublier. La question des nationalités qui n’a pas toujours réussi en politique, mènera plus heureusement les affaires commerciales, notamment celle du Creusot, et cette belle usine prouvera une fois de plus que la France est aussi mûre que le Royaume-Uni pour les grandes conceptions industrielles.

À l’époque du traité avec l’Angleterre, il n’était sorte de prophéties funestes que l’école des pessimistes ne lançât contre la métallurgie française. À les entendre, les mesures prises allaient éteindre tous nos hauts-fourneaux, arrêter l’exploitation d’une partie de nos forêts, suspendre l’extraction de la plupart de nos houillères, et fermer tous nos grands ateliers mécaniques. Les produits anglais allaient nous inonder, et nous devions succomber fatalement dans cette invasion qui est de celles qu’on ne repousse pas par les armes. Ces prévisions se sont-elles réalisées ? Loin de là, car la métallurgie française et l’exploitation de nos houillères sont allées sans cesse en progressant. La quantité de houille produite par nos gîtes nationaux est d’un tiers plus forte qu’en 1860, celle du fer élaborée par nos forges a augmenté aussi dans une étonnante proportion. Enfin nous avons fourni des machines et jusqu’à des locomotives à l’Angleterre elle-même. La quantité de fer versée chez nous par les usines britanniques est insignifiante ; elle ne dépasse pas le sixième de notre production. Sur ce chiffre, la plus grande partie est réexportée, et ce mouvement a été heureusement facilité par les acquits à caution, sortes de warants négociables, qui autorisent en franchise l’entrée temporaire des fontes étrangères, ou du moins font disparaître les droits de douane à la sortie.

Tl est juste de reconnaître ici que les Schneider n’ont pas été les seuls qui ont accepté courageusement les conditions du traité de commerce, et sont entrés bannières en tête dans le tournoi où le gouvernement semblait convier tous nos maîtres de forge. À côté d’eux il faut citer les de Wendel dans la Moselle, les Petin et Gaudet dans la Loire, et vingt autres de nos plus éminents maîtres de forge qu’il faudrait tous nommer. Qui ne connaît les belles usines de Fourchambault, d’Anzin, de Commentry et Montluçon, d’Alais, de Terre-Noire, etc. ?

Chaque usine s’est transformée ; le Creusot, en modifiant sa forge, en étendant sa fabrication des machines, en produisant des rails et des locomotives à outrance ; Hayange et Styring, usines de M. de Wendel, favorisées, il est vrai, par des conditions topographiques et géologiques spéciales, en augmentant dans une pro-