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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/270

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changements fréquents de tons majeurs en mineurs et la multiplicité des arpéges, signe évident que cette musique a été composée pour la harpe.

Le caractère de la musique galloise, est tantôt guerrier, tantôt doux et mélancolique. Elle s’est transmise de génération en génération comme une légende. On peut classer parmi les airs les plus anciens les chansons et les marches guerrières. Les Bardes les composèrent durant les longues luttes des Gallois pour leur liberté, et, au milieu des batailles, ils les chantaient sans doute pour enflammer le courage des guerriers. D’après les traditions quelques airs remonteraient jusqu’aux temps druidiques, mais cela me semble bien douteux. Ce que j’ai entendu de plus ancien, est la marche des moines de Bangor lorsqu’ils allèrent à Chester, assister Brochmaël Ysnygthrog, prince de Powis, contre l’invasion d’Ethelred, roi de Northumberland, en 603. Cet air porte le cachet de sombre résignation qui animait ces hommes marchant à l’ennemi sans autres armes que leurs prières. Les moines furent tous massacrés par les Saxons.

Plus on se rapproche des temps modernes, plus la mélodie guerrière s’adoucit, et bientôt elle se change en chants d’amour et de fête dont la naïve simplicité rappelle les plus gracieux airs d’Haydn et de Mozart. Ce dernier dans son voyage en Angleterre, a pu avoir connaissance de quelques-uns de ces chants : dans l’air appelé New’years Eve (le jour de l’an), l’ensemble et surtout une certaine ritournelle ressemblent à s’y méprendre à une composition de Mozart ; cependant cet air date de deux à trois cents ans, et a été composé dans le pays de Galles, qui toujours vécut de sa vie propre et s’est créé un style et une musique si originaux et si caractéristiques. Haendel qui a si longtemps habité l’Angleterre s’en est profondément inspiré. M. Henri Marlin n’a pas été peu surpris de reconnaître un des plus beaux passages de l’oratorio de Samson, dans un air splendide appelé le vieux Carphilly, que l’on chante depuis des siècles.


IV


Départ de Llanover. — Pontypool. — Abercarn. — Merthyr. — Tydvil. — Montagnes de charbon. — Les Mabinogion. — Llandovery.

En quittant Llanover nous remarquâmes, sur la route de Pontypool, une vieille église entourée d’un groupe d’ifs d’une grosseur étonnante ; un d’entre eux a environ six cents ans. À Pontypool, nous prîmes congé de lady Llanover, en la remerciant vivement, elle et son mari, de leur aimable réception et non sans emporter de précieux souvenirs de leur château dont ils ont fait le vrai centre des traditions du pays.


Manuscrit bardique. — Dessin de Grandsire d’après M. A. Erny.

Pontypool est une petite ville, dépendant de la paroisse manufacturière de Trevethin ; elle tire, dit-on, son nom d’un pont du voisinage, appelé Pont-ap-Hywel ou le pont d’Howel. Depuis très-longtemps, elle fait le commerce du fer, et fut célèbre autrefois par la manufacture des poteries vernies, inventées sous Charles II.

Avant la station de Crumlin, nous passâmes sur un magnifique pont en fer, de deux cents à deux cent cinquante pieds de hauteur ; on y jouit d’une vue admirable sur la vallée qui s’étend au-dessous. Nous nous arrêtâmes à Crumlin, pour visiter Abercarn, ancienne résidence de sir B. Hall, père de lord Llanover ; c’est un charmant nid de verdure caché au milieu de hautes collines boisées, remarquables par leurs arbres séculaires et par l’abondance du gibier qui se tapit sous leurs feuilles. Dans un petit pavillon du jardin, on nous fit voir des poissons fossiles, trouvés à trois cents mètres de profondeur, en creusant un puits pour l’exploitation du fer. Les spécimens les plus curieux et les plus volumineux étaient des saumons et des truites.

Le lendemain, nous partîmes pour Merthyr-Tydvil. C’est la ville manufacturière par excellence, et longtemps avant d’y arriver, l’atmosphère est noircie par des nuages de fumée : la route passe à travers des montagnes de cendre qui me rappellent l’aspect aride d’Aden : quelques-unes brûlent encore. Il paraît presque incroyable que le travail de l’homme puisse transporter de telles masses, mais quand on pense que la presque totalité a passé par les fournaises et a été remuée deux ou trois fois, l’étonnement augmente encore. La nuit la vallée est illuminée par ces flammes ; si bien qu’à l’époque où lord Guest habitait Dowlais (vaste village industriel qui lui appartient presque en entier), il n’avait pas besoin de bougies, car la lueur des forges éclairait ses appartements comme en plein jour.

Lady Ch. Guest a rendu un grand service à la littérature galloise en publiant les Mabinogion, anciens contes celtiques dont M. de la Villemarqué a fait connaître la plus grande partie aux lecteurs français sous le titre de Contes des anciens Bretons. Ces romans en prose ont été l’œuvre non des bardes, mais de conteurs populaires, traitant à leur manière les anciennes traditions nationales auxquelles les bardes imprimaient un caractère plus profond et plus mystérieux.

Les Mabinogion (Enfances, contes d’enfants), dans leur forme présente, ne remontent pas plus haut que le douzième siècle, mais procèdent de traditions bien antérieures. On peut distinguer là deux espèces de récits ; les uns n’ont rien de celtique et ne sont que des traductions d’ouvrages latins ou romans, les autres sont entièrement originaux, et la preuve en est dans les détails de mœurs, de coutumes et de géographie celtiques