Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 15.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’on y retrouve à chaque pas. Ces derniers, les vrais Mabinogion, se rapportent, pour la plupart, au cycle du roi Arthur. Les noms des auteurs ne sont pas arrivés jusqu’à nous.

Le grand village industriel de Dowlais est d’un aspect triste et sombre. Sur la route, M. Henri Martin me faisait remarquer l’aspect gaulois de tous les enfants que nous voyions sur notre route. Les plus jeunes ont tous des chevelures blondes ou rousses qui deviennent brunes avec l’âge ; on remarque peu de cheveux noirs. Hommes et femmes ont des physionomies complétement différentes du type anglais et se rapprochent beaucoup plus du francais. À Dowlais, nous allâmes voir M. E. Williams, le petit-fils d’Iolo Morganwg. Ce dernier a laissé une correspondance volumineuse, où l’on trouverait, mêlés aux antiquités bardiques, des détails intéressants sur les personnages de la Révolution française, avec lesquels Iolo a été en correspondance ; mais M. Ed. Williams est plongé dans l’industrie, et l’on ne sait quand il pourra mettre en ordre ses papiers de famille.

Nous visitâmes ensuite les immenses manufactures de fer de Dowlais ; elles me rappellent les fameux Atlas Iron Works de Manchester. Les ouvriers qui y travaillent ressemblent à de vrais cyclopes ; et quelques-uns de ceux qui sont employés près des fournaises ne vivent, m’a-t-on dit, que deux ou trois années, quelquefois moins ; l’ardeur du feu leur donne une soif continuelle, leur dessèche la poitrine et les pousse à l’usage des liqueurs fortes qui les achève !

Après une journée à Merthyr, nous reprîmes notre route par la jolie vallée de Neath, et, quelques heures après, nous étions à Llandovery, où le directeur du collége gallois nous reçut de la manière la plus gracieuse. La Welsh-School est un monument gothique moderne, composé d’un corps de logis relié à une vaste salle où se font les prières et les classes, et d’une tour carrée, du sommet de laquelle on jouit d’un coup d’œil charmant de la vallée, bornée au fond par les montagnes du Caermarthenshire. Autour du bâtiment principal s’étendent de grandes pelouses où courent et jouent les éléves[1].


Coffret conservé au château de Llanover et où sont enfermés les manuscrits bardiques (voy. p. 268). — Dessin de Grandsire d’après M. A. Erny.

Llandovery est située sur la rivière Bran, non loin de sa réunion avec la Towy, dans une belle et fertile vallée entourée de tous côtés de collines boisées et pittoresques. On y aperçoit les ruines d’un vieux château, et quelques restes de voies romaines. Sa renommée toute littéraire vient des nombreuses publications que M. W. Rees a éditées sur la littérature galloise ; ces livres malheureusement vont peu à l’étranger, car ils s’éditent par souscriptions, se tirent à un petit nombre d’exemplaires et ne sont guère connus que des souscripteurs.

M. Rees habite avec sa famille une charmante villa appelée Tonn ; nous passâmes la journée à parcourir avec lui les vertes vallées environnantes. Sur ma demande, il me donna la légende de Llyn-y-Van-Vach qu’il a écrite d’après le récit oral de M. J. Evans.

Vers le douzième siècle, vivait à Blaensawdde (dans le comté de Caermarthen) une pauvre veuve et son fils, dont les seules ressources consistaient en un modeste troupeau. Tous les matins le jeune homme conduisait ses moutons le long du lac de Van-Vach (près des montagnes noires), mais un jour à son grand étonnement, il vit, assise sur la surface de l’eau, une adorable créature qui peignait sa chevelure en se servant du lac comme miroir. — Tout d’un coup, elle aperçut le jeune Gallois, les yeux fixés sur elle, et lui présentant sa provision de pain et de fromage : elle glissa jusqu’à lui, mais refusa l’offre qu’il faisait si galamment, et comme il essayait de la toucher, elle disparut au sein des eaux après avoir prononcé ces paroles : « Pour celui qui mange du pain cuit au four, il est difficile de nous saisir. »

Le berger s’en retourna chez lui désespéré, mais le lendemain en se promenant sur le bord du lac, il vit une substance pareille à du pain flotter sur l’eau : il attira à lui ce pain d’un nouveau genre, et remarqua qu’il était doré, comme s’il était fait avec la farine jaune qui saupoudre l’intérieur des nénufars. Il le goûta, et le trouva délicieux… mais ce fut en vain qu’il attendit pendant de longues heures : celle que son cœur appelait, n’arriva pas.

Le soleil avait presque quitté les montagnes noires, lorsqu’il observa soudain des vaches marchant sur le lac. La vue de ces animaux extraordinaires, ramena l’espérance chez le jeune Gallois. En effet, quelques minutes après, la fée parut plus belle que jamais, et s’approcha de la rive où il restait tremblant d’admiration et d’amour. Devant ses pressantes supplications, la fée consentit à devenir sa femme, et à sa voix sortirent du lac sept vaches et trois taureaux. « Voici mon douaire, » dit-elle, « je serai votre épouse fidèle, mais si jamais vous me frappez trois fois, je vous laisserai pour toujours. »

Ils vécurent sept ans ensemble et la fée eut trois fils qui se rendirent célèbres comme médecins sous le nom

  1. Cet établissement a été fondé par Th. Philipps à l’aide des souscriptions des personnes zélées pour la langue galloise. — C’est une sorte de séminaire gallois libre, qui rend les plus grands services. (Note de M. Henri Martin)