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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/274

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jusqu’à Aberystwith. Des champs de blé longeaient souvent le rivage, couvert de galets, dont la nuance sombre contrastait avec la blonde couleur des moissons. Devant nous s’étendaient les montagnes du Merionetshire, et, en se retournant, l’œil pouvait plonger jusqu’à la pointe de la baie de Cardigan.

Aberystwith est le Dieppe du pays de Galles. Tous les ans, un grand nombre de baigneurs viennent y passer la saison d’été ; aussi pendant ce temps la ville est bruyante et animée. Elle est bâtie sur un promontoire au confluent des rivières Rheidol et Ystwith, et à peu près au milieu de la baie de Cardigan. En suivant le rivage, et en montant au sommet d’une falaise qu’on appelle Craiglais, on voit se déployer les côtes du pays de Galles depuis Cardigan jusqu’à Carnarvon. Les ruines du château décorent un petit promontoire dont l’extrémité est toujours battue par les vagues. Il ne reste plus qu’une tour et quelques pans de murs autour desquels on a tracé une promenade. C’est là que la tradition place la résidence du grand Cadwallader, le héros breton, dont les bardes chantèrent les hauts faits bien avant ceux d’Arthur. Le château ne remonte pas si haut : il a été bâti en 1107 par Gilbert Strongbow, reconstruit en 1277, par Édouard Ier, et détruit définitivement par Cromwell.

À douze milles d’Aberystwith, se trouve le pont du Diable, dont le peuple attribue la construction à l’esprit malin, quoiqu’on ait tout lieu de croire que ce furent les moines de l’abbaye de Strata Florida, qui l’élevèrent en 1187. Il domine un profond abîme dont les bords sont couverts de bois, et au fond duquel s’élance la rivière Mynach, entièrement cachée aux yeux du voyageur par des masses de verdure.

Sur la route de Machylneth, près d’un hameau appelé Tre-Taliesin, s’offre à l’antiquaire, sur une colline appelée Pen-Sarn-Ddû, un petit monument sous lequel a été, dit-on, enterré Taliesin, le chef des bardes. Ce tombeau (ou cistwen), fait de pierres et de terre, est long de huit pieds, large de deux, haut de trois au-dessus du sol : il est entouré de deux cercles de pierre, dont l’un a quatre-vingts et l’autre près de quatre-vingt-dix pieds de tour. Une tradition populaire veut que toute personne qui passe une nuit sur cette tombe, se réveille poëte ou fou. Il est curieux de remarquer qu’en Grèce la même croyance se rapporte à ceux qui passent la nuit sur le Parnasse.

Taliesin (Front-Rayonnant) était un barde du sixième siècle. On sait peu de chose de son histoire réelle, sinon qu’il était fils de Saint-Henwg de Caerleon, et qu’il resta longtemps à la cour d’Urien de Rheged comme précepteur de son fils. Une grande inondation ayant envahi les terres de Gwyddon, un autre de ses protecteurs, le roi Arthur, l’appela à sa cour à Caerleon : il y fut en haut renom de génie poétique et de science. Il avait composé, à la cour d’Urien de Rheged, une partie de ses poëmes, qui, de l’avis des critiques les plus judicieux, contiennent de grandes beautés. Tels sont les faits historiques ; quant aux traditions mythologiques, fort curieuses, elles supposent que la fée Koridwen, la déesse de la nature, ayant préparé la chaudière de la science, confia le soin de la remuer au petit Gwion (Bach) et à l’aveugle Morda, en leur recommandant de la faire bouillir pendant un an et un jour. Il arriva que trois gouttes tombèrent sur le doigt de Gwion qui, sentant la chaleur, porta son doigt à ses lèvres. Aussitôt la science se dévoila à lui, et il s’aperçut qu’il fallait se méfier de Koridwen. Cette dernière, furieuse de voir son travail perdu, courut après Gwion, et tous deux prirent mille formes diverses, l’un poursuivant l’autre. En dernier lieu, Gwion Bach se changea en grain de blé, et la fée, transformée aussitôt en poule noire, le saisit et l’avala. Au bout de neuf mois, elle mit au monde Taliesin. Ce dernier, dit M. Henri Martin, « est la personnification de la science humaine, et spécialement de la grande organisation religieuse, poétique et scientifique des druides : c’est le druidisme fait homme. »

Après un court séjour à Aberystwith, nous reprîmes, M. Henri Martin et moi, la diligence qui mène à Dolgelly. Au bout de quelques heures, nous arrivâmes dans la petite ville de Machylneth, centre de la manufacture de laine du pays de Galles. Les rues sont assez larges et les maisons généralement neuves ; néanmoins on en conserve une du quatorzième siècle, où Owen Glendower se fit proclamer prince de Galles. On montre encore la voûte de la maison où il réunissait les chefs de son parti, et où il signa ses premiers ordres comme souverain.

Plus tard, lorsque Henri VII n’était encore que Henri Tudor, prétendant au trône d’Angleterre, ce prince coucha dans la maison d’un de ses adhérents, David Lloyd de Mathafarn, près de Macylneth. Comme on attribuait à David Lloyd le don de prophétie, Henri lui demanda quel serait le résultat de sa prochaine rencontre avec Richard III. David promit de lui rendre réponse le lendemain, et passa une nuit sans sommeil à interroger les étoiles et les livres. En vain cherchait il ? aucun signe ne lui révélait l’issue du combat. Le lendemain, sa femme, le trouvant fatigué, les yeux hagards, et presque découragé, lui demanda ce qui altérait son visage. Il avoua son embarras ; elle prit la chose légèrement, et lui dit : « Comment pouvez-vous hésiter ? Dites-lui qu’il réussira ; si la prédiction se confirme, cela nous fera honneur ; sinon, il ne reviendra pas vous le reprocher. » Le prophète mit le conseil à profit, et l’on prétend que c’est de là que vient le proverbe gallois : Cynghar gwraig heb ei ofyn… — L’avis d’une femme sans le demander. »


VI


Route de Macylneth à Dolgelly. — Cadair Idris. — Les voleurs à chevelure rouge de Mowddy. — Rapport de la légende d’Idris et de Gargantua. — Dolgelly. Curieuse coutume du peuple. — La maison du Parlement d’Owen Glendower. — Harlech et son château. Les Esprits du feu. — Tremadoc. — La pierre de Pitt. — Légende de Craes-Mawn.

À partir de Macynleth, le pays devient de plus en plus montueux, et, avant d’arriver à Tal-y-lyn, nous