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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/322

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Castel, du côté du sud, est entouré d’eau de toutes parts, excepté à l’ouest où il n’est sépare du quartier de Bantsio que par des places d’armes appartenant au Taïkoun. Dix ponts de bois, cintrés, sont jetés sur ses larges fossés. Les ponts du midi aboutissent à des portes fortifiées, derrière lesquelles la route fait un coude qui l’expose en plein aux meurtrières des remparts et des blockhaus de l’intérieur.

Un fort détachement de troupes du Taïkoun occupe le corps de garde adossé à la porte que nous traversons. Les simples soldats sont des gens des montagnes d’Akoni, qui rentrent dans leurs foyers après un service de deux ou trois années. Leur uniforme, en cotonnade bleue, rayée de bandes blanches sur les épaules, se compose d’un pantalon collant et d’une chemise semblable à celle des volontaires garibaldiens. Ils portent des chaussettes de coton, des semelles de cuir attachées par des sandales, et un ceinturon dans lequel est passé un grand sabre au fourreau laqué. Leur giberne, accompagnée de la baïonnette, est suspendue au côté droit par un baudrier. Un chapeau pointu en carton laqué, rabattu sur les tempes, complète leur accoutrement ; mais ils ne le mettent que pour monter la garde ou se rendre à l’exercice.


Soldat du Taïkoun. — Dessin de A. de Neuville d’après une aquarelle de Wirgman.

Quant aux fusils de l’armée japonaise, bien qu’ils soient tous à percussion, ils varient de calibre et de construction, selon leur provenance. J’en ai vu de quatre sortes différentes aux râteliers d’une caserne de Benten, où un yakounine me fit la faveur de m’introduire. Il me montra d’abord un modèle hollandais, puis une arme de qualité inférieure, sortie d’ateliers que l’on avait établis à Yédo, pour travailler d’après ce modèle ; ensuite un fusil américain, et enfin le fusil Minié, dont un jeune officier enseignait le maniement à un peloton de soldats dans la cour de la caserne.

Je remarquai que cet instructeur commandait l’exercice en hollandais. Il tenait de la main droite une baguette de fusil, et la grâce de ses mouvements, ainsi que la douceur de sa voix, me l’eût fait prendre de loin pour un maître de danse dirigeant avec un archet les pas de ses élèves. Je l’engageai à venir voir chez moi le fusil de chasseur et la carabine suisses. Une demi-douzaine de ses camarades répondirent avec lui à cette invitation. Quand ils eurent échangé leurs observations : « Nous comprenons, me dit l’un d’eux, que ces armes sont supérieures à celles que nous connaissons, quant à la portée et à la précision du tir ; mais il faudrait les perfectionner encore, en les transformant de manière quelles puissent se charger par la culasse. »

Ils avaient vu, quelques jours auparavant, des fusils à aiguille entre les mains des soldats de marine de la corvette prussienne la Gazelle.

Malgré cette prompte intelligence des progrès réalisés dans les armes de guerre de l’Occident, les Japonais n’ont pas encore pu s’affranchir du lourd attirail militaire de la féodalité. Le casque, la cotte de mailles, la hallebarde, le sabre à deux mains sont de rigueur dans les revues et les grandes manœuvres. Des corps d’archers flanquent les colonnes d’infanterie équipées à l’européenne, des chevaliers dignes du temps des croisades apparaissent dans la poussière des trains d’artillerie.

Tous les Samouraïs s’étudient journellement, dès leur bas âge, au combat corps à corps, aussi bien à la lance qu’au sabre à deux mains, au glaive et au couteau. Le quartier que nous traversons possède, à lui seul, deux champs de courses et plusieurs bâtiments destinés aux exercices d’équitation et d’escrime de ses nobles habitants. Nous voyons passer des maîtres d’armes, accompagnés de leurs élèves et suivis de coskeis qui portent des trophées de lances et de sabres de bois, ainsi que des gants, des masques et des plastrons qui me rappellent ceux dont on fait usage dans les salles d’escrime à la rapière des umniversités allemandes.

Les jouteurs, encore échauffés de la lutte, ont rejeté sur une épaule leur manteau de soie et ouvert leur justaucorps sur la poitrine. Ainsi allégés, ils cheminent à