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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/332

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tique et de la monarchie élective : l’insécurité, les intrigues de famille, les conspirations de palais, l’assassinat politique.

En 1853, la famille des princes de Ksiou avait donné à l’empire une longue série de taïkouns : celui d’entre eux qui admit alors dans les eaux du golfe de Yédo l’escadre du commodore Perry, ne survécut pas, l’année suivante, au retour de la mission américaine. L’on croit aussi qu’en 1858, le taïkoun avec lequel lord Elgin fut censé entrer en négociations, n’existait plus au moment où ses délégués apposaient leur signature au traité britannique.

J’ai entendu des Japonais exprimer de mystérieuses inquiétudes au sujet du jeune prince qui occupait le trône pendant mon séjour au Japon : il y a déjà eu, disaient-ils, treize taïkouns de la dynastie de Ksiou, tandis que l’on n’en compte aucun dans la famille de Mito.

Je demandai si cette famille possédait un prétendant, depuis que le dernier seigneur de Mito, auquel on attribuait l’assassinat du régent, avait lui-même péri de mort violente : nous ne le savons pas, me répondit-on, mais il a laissé un fils adoptif universellement respecté, savoir le Stotsbaschi, qui est revêtu de la dignité de vice-taïkoun.

Vers la fin de l’année 1866, les correspondances du Japon nous apportaient la nouvelle que le Taïkoun avait succombé, à Osaka, aux fatigues de sa campagne contre le prince de Nagato, et qu’il était remplacé par le Stotsbaschi, son lieutenant général.

Pour compléter cette esquisse des mœurs politiques de la cour de Yédo, il faut ajouter qu’elle a érigé l’espionnage en système, au point d’en faire son principal moyen de gouvernement, et qu’elle a officiellement admis, à titre de correctif aux dénis de justice, aux conspirations et aux assassinats politiques, le suicide, volontaire ou prescrit d’office.


Un petit daïmio. — Dessin de Crépon d’après une photographie.

L’espionnage japonais comprend d’abord l’organisation d’une police secrète, tout à fait analogue à celle des États qui sont à la tête de la civilisation européenne ; mais il y ajoute, comme couronnement de l’édifice, toute une hiérarchie de fonctionnaires publics, désignés sous le titre général d’ometskés ou inspecteurs. Depuis les sergents de police jusqu’aux ministres d’État, il n’est pas un employé, pas un haut dignitaire de l’administration taïkounale, qui ne soit contrôlé dans l’exercice de ses fonctions par son inspecteur officiel.

J’ai assisté à des négociations où le ministre japonais présentait galamment son ometské, délibérait avec lui sur la réponse à faire à l’interlocuteur étranger. Le scribe du ministre et le scribe de l’ometské prenaient note, chacun de son côté, de tout ce qui se disait. Chaque affaire devient conséquemment l’objet de deux rapports parallèles ; le fonctionnaire supérieur auquel ils sont adressés doit, à son tour, soumettre son avis au contrôle de son acolyte, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le dossier de l’affaire ait atteint l’autorité suprême qui en fait le dépouillement et prononce en dernier ressort.

Quant au suicide, et je ne veux parler ici que du suicide noble, il consiste, comme son nom de hara-kiri l’indique, à s’ouvrir le ventre. L’on a dit qu’il remplaçait parfois le duel. Je doute que cette assertion soit parfaitement exacte. Les Japonais, il est vrai, ne connaissent pas le duel ; mais ils suppléent à cette lacune de leur organisation sociale par l’assassinat. Seulement, il est des circonstances, d’une appréciation délicate, où l’honneur ne peut être satisfait que par le hara-kiri, où l’immolation d’une victime volontaire doit servir de prétexte aux actes de vengeance de la famille outragée.

Un exemple le fera comprendre :

Le gouverneur de Kanagawa, Hori Oribé no Kami, échange avec M. Heusken, secrétaire-interprète hollandais de la légation américaine, une correspondance