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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/331

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de part et d’autre. Dès lors, bien que le gouvernement japonais se soit montré, à diverses reprises, peu satisfait de cette innovation, elle a passé officiellement dans toutes les conventions internationales qu’il a conclues, et même elle est devenue sans peine tout à fait populaire. Cette circonstance, à elle seule, prouve que, dans l’esprit du peuple japonais, la notion du taïkounat était parfaitement distincte de celle du pouvoir des Siogouns, bien avant qu’elle eût reçu sa dénomination propre.

Quelques mots sur la carrière de Gonghen-Sama feront comprendre en quoi le régime politique qu’il a inauguré se distingue de celui des Siogouns.

La lutte engagée en premier lieu par Yoritomo, et poursuivie à outrance par Taïkosama contre la noblesse territoriale, devait aboutir, tôt ou tard, à l’anéantissement de la féodalité, à l’annihilation du daïri, à la transformation de l’empire des Mikados en une monarchie absolue, dont le sceptre demeurerait héréditaire dans la famille de l’ancien palefrenier Faxiba.


Officier du mikado en délégation à Yédo. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie.

Aussitôt que Hiéyas se vit débarrassé de l’unique rejeton de cette famille, il n’eut d’autre souci que de travailler à l’édification de sa propre dynastie. Loin de s’enivrer du succès de ses armes, il profita du moment de sa plus grande fortune pour entrer dans la voie des compromis avec les chefs de la noblesse féodale qui tenaient encore la campagne. Ils étaient au nombre de dix-huit. Hiéyas leur offrit la paix, qu’ils acceptèrent avec empressement, et il régla, de concert avec eux, les conventions qui forment aujourd’hui, sous le nom de lois de Gonghen-Sama, les bases constitutionnelles de l’empire japonais.

Le texte de ces lois n’est pas encore parvenu à la connaissance des étrangers, et il est défendu aux interprètes indigènes de fournir à qui que ce soit des informations relatives à l’organisation politique de leur pays. Tout semble indiquer cependant que les prérogatives dont jouit le Taïkoun sont singulièrement limitées. Il dispose, à la vérité, des forces de terre et de mer ; il concentre en ses mains l’autorité législative aussi bien que le pouvoir administratif. C’est lui qui nomme souverainement les cinq ministres dont il compose son cabinet ou conseil d’État, le « Gorogio, » et c’est de lui que relèvent directement tous les fonctionnaires civils et tous les officiers militaires qui sont au service de la couronne.

D’un autre côté, les lois qu’il édicte sont soumises au contrôle et placées sous la garantie du Mikado, et les daïmios entretiennent à Yédo un corps représentatif de dix-huit à vingt-quatre membres, le « Kokoushi, » qui, sans jouer un rôle actif dans les affaires de l’État, peut s’opposer à la promulgation de nouvelles lois et intervenir, en certains cas, dans l’élection d’un nouveau Taïkoun. L’on dit même que parfois les trois cent quarante-deux principaux daïmios de l’empire, c’est-à-dire ceux dont les revenus annuels dépassent la somme de huit cent mille francs, se réunissent en conseil à Yédo pour remplir le rôle d’une assemblée consultative auprès du Taïkoun ou du corps électoral chargé de désigner son successeur. Ce corps électoral ne se constitue que lorsque les circonstances l’exigent. On ignore quelle en est la composition. Il est probable que, tout en faisant une part au Gorogio, elle a pour base le Kokoushi, en sorte quelle tend à donner une certaine satisfaction aux intérêts des héritiers présomptifs aussi bien qu’aux prétentions des grands vassaux de l’empire.

La loi de succession ordonne que le taïkounat soit maintenu dans la descendance directe de l’héritier choisi par Hiéyas en la personne de l’aîné de ses trois fils ; mais elle ajoute que, à défaut de descendance directe, ce pouvoir doit passer, au gré du corps électoral, dans l’une des deux branches collatérales, issues de la même souche. Il y a donc, en réalité, dans l’empire japonais, trois familles taïkounales. On les appelle les « Gosankés » et elles portent, entre autres titres, les noms des riches seigneuries dont elles furent dotées par leur aïeul Hiéyas, savoir les provinces d’Owari, de Ksiou et de Mito.

Quoi qu’il en soit de l’exactitude des renseignements qui précèdent, il est hors de doute que la loi de succession imaginée par Gonghen-Sama entraîne à sa suite tous les inconvénients combinés du régime despo-