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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/346

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Ruaux fût fortifié, car les fées furent surprises par les premiers rayons de l’aurore, avant qu’elles eussent mis fin à leur ouvrage. Artistes de nuit, elles frissonnèrent devant le jour qui paraissait, laissèrent tomber les pierres qu’elles portaient dans les plis de leurs robes noires, tachetées de feux follets, et, comme de vaines ombres, elles disparurent. Depuis lors, le château bien connu dans le pays sous le nom de Château des Fées, est resté inachevé. On aperçoit encore d’immenses blocs de pierre semés à l’abandon, dans les environs du Château ; ce sont les matériaux qu’apportaient les fées, quand les lueurs naissantes du matin vinrent les interrompre.

Selon l’histoire, il est possible que le village de Ruaux ait été une ville, plusieurs titres anciens lui donnent cette qualification ; un champ voisin se nomme encore le champ du Marché ; un long espace de prés s’appelle la rue Ancienne ; on a découvert sur le territoire qu’occupe le village plusieurs tombeaux en pierre, avec des armoiries, des inscriptions, etc., etc.

À l’est, du côté de la route de Remiremont, on remonte la promenade des Dames. Elle doit son nom, selon les uns, aux dames de France Mesdames Adélaïde et Victoire de France, filles du roi Louis XV, petites filles du roi Stanislas, en l’honneur desquelles celui-ci l’avait créée, et, selon les autres, à l’habitude qu’avaient les dames du chapitre de Remiremont de venir s’y promener.

Au bout de la promenade des Dames s’élève un établissement industriel qui a éprouvé des fortunes diverses. Ce fut, dans l’origine, une papeterie. Beaumarchais y fit fabriquer le papier destiné à l’édition de Voltaire, connue sous le nom d’édition de Kehl. Le Moniteur s’y approvisionna. Puis la papeterie fut remplacée par une manufacture de porcelaine qui se transforma en une poterie que dévora un incendie. De nos jours on y a créé une usine dans laquelle on a d’abord fabriqué des instruments aratoires. Aujourd’hui on y fait des couverts en fer et des ustensiles de cuisine.

Arrivés là, nous avons devant nous une masse de rochers et de montagnes entrecoupés de ravins, couverts de vieux arbres et décorés d’un rideau de verdure ; dans ce rideau s’ouvrent çà et là des jours qui nous séduisent et des sentiers aux contours sinueux qui semblent nous inviter à pénétrer avec eux dans les gorges dont ils vont entr’ouvrir les profondeurs.

Au premier plan domine le Calvaire, rocher à pic au sommet duquel une plate-forme a été pratiquée par la main de l’homme. On y a dressé une colonne d’ordre dorique, surmontée d’une croix en pierre, dont la simplicité rustique n’est pas sans caractère.

Au pied du rocher est la route de Remiremont, qui, pour atténuer l’aspérité de la côte qu’il lui faut gravir, se rapproche de l’Eaugronne et en remonte la pente en l’adoucissant par des courbes multipliées.

Un joli sentier se détache de la route et court, en serpentant, sur le flanc de la montagne. Il monte à la fontaine du Renard. On appelle ainsi une source encaissée dans un carré long d’un peu plus d’un mètre. L’eau de cette source est d’une limpidité de cristal.

Un autre point, également à l’est de Plombières, que l’on visitait beaucoup, il y a quelques années, et que l’on néglige aujourd’hui, est le Moulin-Joli.

Pour y arriver, on remonte le ruisseau Saint-Antoine, et après un quart d’heure de marche on parvient à un moulin ou l’on assure que l’impératrice Joséphine allait souvent se reposer. Sur le chemin on rencontre une modeste fontaine consacrée à la mémoire de Mme Guizot, et une scierie mécanique assise au bord du ruisseau Saint-Antoine, dans un site agreste.


La Feuillée-Dorothée. — Qu’est-ce qu’une feuillée ? — La vue du val d’Ajol. — Qu’est-ce que Dorothée ? — Une visite au val d’Ajol. — Laitre. — La vallée des Roches. — L’abbaye d’Hérival. — Les curiosités qu’on peut y voir. — Excursion à Saint-Loup. — L’horloge. — Les forges de la Sémouse. — Bellefontaine. — Retour par la route d’Épinal.

Parmi les promenades un peu plus lointaines, il en est deux qui jouissent d’une telle célébrité qu’aucun baigneur ne peut guère se dispenser de les visiter : l’une est la Feuillée-Dorothée, l’autre est le val d’Ajol.

Le chemin de la Feuillée-Dorothée est des plus faciles : on monte la route de Luxeuil, en appuyant toujours à gauche, jusqu’au moment où l’on aperçoit un poteau indicateur portant ces mots : Chemin de la Feuillée-Dorothée ; on suit cette direction, et on va droit devant soi, dans un chemin ombragé, jusqu’à ce qu’on rencontre la maisonnette de Dorothée. Au reste, cette modeste demeure est si connue que le premier enfant venu vous montrera le chemin de l’ancienne feuillée.

Presque tous les baigneurs s’imaginent que par feuillée on doit entendre une sorte de salle de verdure, dessinée et plantée avec une certaine symétrie, ayant des rangées d’arbres pour murailles, des branches pour charpentes, un épais feuillage pour dôme et pour décoration. Tel est, en effet, la signification actuelle du mot. Aussi, lorsque arrivés à la Feuillée-Dorothée, les visiteurs n’aperçoivent qu’une maisonnette que personne sans doute ne songerait à remarquer, sans le panorama qui se déroule à ses pieds, on se demande où est la feuillée, c’est-à-dire la salle de verdure ; et comme, à l’exception de quelques arbres plantés çà et là, un peu à l’aventure, la Feuillée-Dorothée est médiocrement feuillue, es visiteurs se croient aux prises avec une charade dont ils cherchent en vain le mot. Il est cependant bien simple. Au temps jadis, les promenades un peu longues se faisaient à l’aide de chars traînés par des bœufs ; et pour se garantir des ardeurs du soleil, les promeneurs établissaient au-dessus du char une toiture en feuillage ou en feuillée. Alors une partie de plaisir, une course dans la campagne était une feuillée. Or, comme depuis vingt-cinq ou trente ans une visite à la demeure de Dorothée est pour tout baigneur une promenade obligée, une partie de campagne voulue par l’usage, il suit de là que, depuis vingt-cinq ou trente ans, cette demeure se nomme la Feuillée-Dorothée.