Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 15.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le charme de cette demeure est qu’elle domine le val d’Ajol, vallée ravissante que l’on a comparée à la fameuse vallée d’Argelez sur le Gave d’Azun, dans les Hautes-Pyrénées.

« Sur la droite, au couchant, dit M. Friry, ces lignes bleuâtres appartiennent à la Comté et à la Bourgogne ; là se lève la côte Saint-Valbert, et plus loin celle d’Aigremont. C’est au pied de cette dernière qu’Arioviste, l’ami du peuple romain, mais le rival malheureux de César, perdit tout espoir d’établissement dans les Gaules, deux de ses femmes et 80 000 de ses compatriotes, géants moissonnés par l’intelligence d’un homme et la discipline d’un peuple conquérant.

« En face et par delà le val d’Ajol et sa rivière argentine, voici les gorges d’Outremont, les hauteurs du Fraiteux, de la Racine, cultures, landes et taillis qui nous cachent la rivière du Breuchin, la ville de Faucogney et ses retraites où s’éleva, pendant quinze ans, le camp barbare des compagnons du même Arioviste, lieux à jamais célèbres par la défaite des Éduens et la perte de leur noblesse, de leur sénat, et encore plus par le séjour de Colomban, le saint convertisseur des Vosges.

« À gauche, il ne faut pas chercher de lointains horizons. Le monastère ou archiprieuré d’Hérival se cache dans une reculée de la gorge qui longe la montagne dentelée de la Vêche. Celle-ci, celles de Faymont, du Champ-Carré ou de Chèvre-Roche, sont les obstacles qui nous cachent la chrétienté, la terre Saint-Pierre de Remiremont. »

Est-il absolument nécessaire de voir l’hôtesse de la feuillée, la bonne femme célèbre sous le nom de Dorothée ? — Non, sans doute, mais si l’on s’en allait de Plombières sans avoir rendu visite à Dorothée, on s’exposerait à passer pour un original.

Dorothée est une bonne vieille femme qui joue de l’épinette et fait des vers. Elle est avenante. On la dit d’une bienfaisance rare. Sa maison est petite, mais d’une charmante propreté. On y trouve un album où les voyageurs écrivent à tort et à travers leurs impressions. Ne disons rien de plus de cette excellente personne qu’il serait honteux de vouloir célébrer pompeusement : on cède souvent avec trop de facilité à la mauvaise inspiration de flatter ironiquement son talent poétique : cela n’est ni généreux, ni spirituel. À quiconque la visite, elle offre son lait, son pain, son kirsch, ses fleurs. Si on accepte cette hospitalité sans la payer, Dorothée ne réclame pas ; si sur la table de bois blanc on dépose quelque pièce blanche, Dorothée remercie avec effusion : on vient de lui fournir les moyens de consoler quelque misère, de soulager quelque infirmité.

En revenant de la Feuillée-Dorothée on a généralement le désir d’aller voir de près le val d’Ajol. On doit alors rejoindre le chemin qui conduit à la Nouvelle-Feuillée, établissement rival de celui de Dorothée, puis on descend la route fort rapide qui, de ce point, mène jusqu’à Laitre.

Laitre, qu’on désigne très-souvent et à tort sous le nom de val d’Ajol est le centre du val. C’est un gros village avec église, écoles publiques, maison de ville, étude de notaire, etc., etc. Il est de construction élégante, et la rivière qui le baigne, la Combeauté, met en mouvement un grand nombre d’usines.

Les habitants, que certains auteurs font descendre d’une de ces anciennes colonies espagnoles qui, de 783 à 844, vinrent s’établir en France, sont cordonniers, tailleurs, sabotiers, menuisiers, boulangers ; presque tous savent sculpter le bois et la pierre. Un d’eux même fait des pianos.

Pour revenir du val d’Ajol à Plombières, il faut passer par Faymont, où l’on remarque une cascade et plusieurs scieries mécaniques mises en mouvement par la Combeauté.

De Faymont on traverse la vallée des Roches, dont l’aspect presque sauvage, les bois sombres, les rocs suspendus au-dessus des eaux et les gorges solitaires forment avec le riant vallon qu’on vient de quitter, un contraste qui a son charme ; puis on arrive à l’antique abbaye d’Hérival, qui, pour nous servir d’une expression empruntée à M. Friry, est « un des rameaux les plus curieux du grand institut colombaniste de Remiremont. »

Le fondateur de l’abbaye fut un saint personnage, natif des Vosges, nommé Engibaldus, qui, l’an 1057, bâtit en un lieu très-âpre, très-stérile, qu’on appelait Aprevaux (aspera vallis, hyrea vallis, d’où Hérival), une petite église en l’honneur de Dieu, de la vierge Marie, de Monsieur (sic) saint Jean-Baptiste et de saint Nicolas, avec un cloître, un dortoir et un réfectoire. « Il ne voulut avoir, dit Sébastien Valdenaire, cloches, orgues ne chanterie, n’y autres pour dire messe, alléguant qu’il suffisait de recevoir la sainte eucharistie spirituellement, et que pourtant il fallait s’en abstenir, comme aussi de dire heure canonique vocalement, etc. »

Plus tard, la règle du monastère d’Hérival fut un mélange des règles de saint Colomban, de saint Benoît et de saint Augustin. Elle était fort rigoureuse.

La révolution de 1789 ferma l’abbaye. Les bâtiments ont disparu. Ils ont été remplacés par une ferme dont le propriétaire est l’un des descendants de l’ancienne famille Fleurot. On y fait voir aux curieux un squelette qui, dit-on, est celui du dernier moine du couvent. On montre aussi un morceau d’une peau dans laquelle on a ménagé des yeux et une bouche, c’est-à-dire des trous pour figurer ces ouvertures. On affirme que cette peau recouvrait autrefois le squelette du pauvre moine. Par malheur la peau de l’homme s’imite difficilement ; cette peau est une simple peau de veau.

Il y a mieux que cela à faire à Hérival : c’est d’y prendre une collation de lait, de cerises, et de kirsch. Il y a mieux aussi à y voir : quelques femmes de la localité, qui passent avec leurs enfants, sont réellement belles ; leurs traits sont distingués et semblent rappeler une noble race.

D’Hérival on revient à Plombières par le Moulin-Joli.

Une autre promenade qu’on fait encore à âne ou en