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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/384

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bois où il trouverait une baguette d’or suspendue en l’air. L’ayant trouvée et vu le miracle dont vous êtes témoin, me dit celui qui parlait, Abona Philippos ne douta plus de la volonté de Dieu. Il obéit et bâtit ce monastère qui se nomme Bihen-Jesus, Vision de Jésus, à cause de cette apparition. » Je laisse au lecteur à faire ses réflexions sur ce prodige que j’ai vu et sur ce que ces religieux m’ont dit la-dessus. »

La légende de la Verge d’or n’est pas particulière à Bizan : je l’ai aussi trouvée à Zenk Mariam, église située dans le Beghemder, entre le Reb et le rocher d’Arnora Gadel. Zenk, en amharique, veut dire verge.

Le lieu appelé Culotte par Alvarez est Tzalot, village important que j’avais laissé sur ma droite en allant de Dobaroa à Asmara. Il a été habité pendant quelques années par notre illustre compatriote Théophile Lefèvre, qui, il y a une quinzaine d’années, était rentré en Abyssinie pour y faire le commerce et qui vivait à Tzalot en vrai Mokonnen abyssin. Mgr de Jacobis alla un jour l’y voir, et un de ses prêtres qui m’a raconté cette visite me parla en termes amusants de l’embarras du savant voyageur, surpris en costume abyssin et se hâtant de passer par-dessus ses pittoresques vêtements blancs et flottants son habit étriqué de lieutenant de vaisseau.


Makar (voy. p. 375). — Dessin de E. Cicéri d’après un croquis de M. Lejean.

J’aurais un commentaire à faire sur chaque phrase d’Alvarez ; mais je me borne à quelques observations nécessaires. Les Maures Arabes (c’est-à-dire les nomades musulmans) sont toujours, comme par le passé, les vassaux des Abyssins, ou plutôt leurs fermiers. Ce sont les fameux Chohos, ou plus exactement Saho (l’orthographe erronée qui a cours partout nous vient de l’anglais Shiho et Shoho). On les divise en beaucoup de tribus dont les plus connues sont les Tora (communément appelés Toroa) autour du Bizan, et les Hazorta, au delà d’Adulis. Leur position politique est assez vague et bizarre. D’une part ils reconnaissent la souveraineté de leurs nyab (pluriel de naïb) ou princes d’Arkiko et de Zoulla, dont je parlerai plus bas : de l’autre, ils relèvent des villages abyssins qui leur confient leur bétail : ce sont des fermiers à mi-produit. Ainsi tel riche paysan abyssin du Hamazène ou du Kolla-Gouzay dit mes Chohos, comme un bogos ou un beni-amer dit mes Tigré. S’ils ont fait une razzia ou un de ces vols dont l’usage fréquent est le principal obstacle à la pacification de cette frontière, ils partagent avec leurs patrons : en revanche ceux-ci leur doivent aide et protection en toute circonstance.

C’est ainsi qu’en février 1865 les Chohos des environs de Zoulla (Adulis), fermiers des Abyssins de l’Agamé, molestés par les gens de Zoulla et se croyant injustement lésés, en appelèrent à leurs suzerains qui, sans nulle explication, descendirent sur Zoulla, tuèrent deux cents hommes, enlevèrent femmes, enfants, bétail, et remontèrent sur leur dega. Le naïb de Zoulla, Mohammed Areï, alla demander protection au gouverneur de Massoua ; celui-ci se borna à lui faire cette question :

« Zoulla paie-t-il tribut à la Porte ?

— Non, dit Areï, mais seulement un présent de bonne alliance.

— Ah ! c’est comme cela ? Eh bien, va réclamer du secours chez ceux que tu reconnais pour tes maîtres. »

G. Lejean.

(La fin à la prochaine livraison.)