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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/397

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les plus grands dangers, à leur faire entendre raison, et s’engagea à faire tous ses efforts pour leur faire payer leur solde et leur obtenir leur pardon.

D’après les conseils de ce courageux officier, le gouverneur fit payer d’urgence la solde des troupes mutinées, et tout rentra dans l’ordre pour un temps.

Le gouverneur général de Khartoum, informé de cet incident, fit faire une enquête qui malheureusement fut conduite à la turque, (c’est-à-dire que les supérieurs se tirèrent parfaitement d’affaire et que les charges retombèrent entièrement sur les soldats. Ceux-ci avaient sans doute failli contre la discipline : mais la première provocation était venue d’en haut. Quoi qu’il en soit, le gouvernement égyptien, sur le rapport du gouverneur, ordonna que les troupes qui s’étaient mutinées fussent envoyées en Égypte. Les officiers supérieurs trouvèrent dangereux d’exécuter ouvertement cet ordre et le biais qu’ils adoptèrent eut l’inconvénient de ressembler a un guet-à-pens. Ils dirigèrent les soldats sur Miktinab, sous prétexte de les employer à faire rentrer les impôts : et ils avertirent secrètement le commandant de cette place de les disperser en petits détachements dans le pays, puis de les faire désarmer. Les soldats eurent vent de ce projet lorsqu’ils étaient déjà à Miktinab, et le 3 juillet ils se mirent en révolte ouverte, se firent livrer l’argent et les munitions en dépôt à Miktinab, assommèrent à moitié leur colonel, puis marchèrent sur Kassala.


Porteuse d’eau de Monkoullo (voy. p. 393). — Dessin de É. Bayard d’après M. G. Lejean.

Le 5 ils arrivent à une portée de canon de la ville, avant que les autorités aient rien su de ce qui se passait. Le pacha et le commandant se hâtent de se retirer dans l’espèce de hangar en briques crues qu’on appelle ambitieusement le palais du gouvernement : ils s’y fortifient à la hâte avec une poignée d’irréguliers, pendant que Panaïoti se barricade dans sa maison avec ses employés, ses serviteurs et la compagnie française. Il n’était que temps de prendre ces mesures sommaires. À peine les portes. sont-elles fermées, qu’on entend s’élever dans toute la ville des hurlements épouvantables : les rebelles, à peine entrés, ont attiré dans leur défection les troupes nègres qui occupent la caserne et la porte de Sabterat, toute la population dangereuse des faubourgs et du bazar se joint à eux, et ils se répandent dans la ville, pillant les boutiques et les maisons, massacrant les marchands qui essayent de se défendre et même les passants inoffensifs qu’ils rencontrent dans les rues.

Il y eut là des scènes hideuses. L’officier auquel ils en voulaient le plus était, je ne sais pour quelle raison, le bimbachi (commandant) Katab effendi : il fut mis en pièces, puis les femmes de son harem furent forcées de manger son foie cru préparé en marara. (La marara est un plat favori du Soudan : c’est un foie de chameau coupé en morceaux et fortement assaisonné de vinaigre et de poivre rouge). Cela fait, on prit ces malheureuses et on les jeta toutes vives dans des puits, avec leurs enfants. Les mêmes atrocités se répétèrent chez tous les autres officiers, au nombre de dix-sept, qu’on trouva cachés çà et là : ils furent écharpés, puis hachés en menus morceaux qu’on entassa dans des bourmas (jarres du pays).

Le pillage de la maison du bimbachi avait été fructueux : on y avait trouvé, disait-on, quarante mille talaris et une pleine bourma de guinées et de napoléons.

Cela fait, les rebelles se précipitent avec beaucoup de résolution sur le palais du gouvernement, qu’ils auraient probablement enlevé, sans l’heureuse circonstance que voici. La seule rue qui conduise à ce palais passe sous le feu du détachement français retranché dans la maison Kotzika, et ces treize braves, voyant deux ou trois cents ennemis arriver en désordre par cette rue en face des meurtrières qu’ils ont pratiquées dans le mur en terre de la maison, ouvrent sur eux un feu bien dirigé qui prend la rue en enfilade et les arrête court. Les nègres furieux de cette résistance inattendue se retirent en accablant les Français de malédictions : « Chiens d’infidèles, leur crient-ils, le premier d’entre vous qui tombe entre nos mains sera mis à la broche ! »

Après avoir tenté, sans plus de succès, une seconde