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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/12

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chinoises et japonaises, comme deux dragons fantastiques en défendant l’entrée, deux monstrueuses figures de lions, conquises en Chine et sculptées dans ce style grotesque cher aux habitants du Céleste Empire et qui est aussi éloigné du réalisme que de l’idéal. — Sur le piédestal de la fontaine on a, récemment aussi, remplacé la statue d’Ulysse, de Petitot, par la statue de je ne sais quelle nymphe des eaux, dont l’attitude tourmentée et la mignardise moderne offrent une dissonance de plus au milieu de tous ces contrastes. Hissée à une hauteur à laquelle elle n’était pas destinée et qui en fait paraître les lignes disgracieuses, elle semble manquer d’aplomb, et tomberait à la renverse, n’était le prodigieux tour de force et de bonne volonté de deux dauphins, dont les queues unies lui servent de siége ; ce qui n’est peut-être pas le cas de dire : « Se non è vero, à ben trovato[1]. »

La cour de la Fontaine communique d’un côté avec le Jardin anglais, de l’autre avec le Parterre et par un petit couloir de service avec la cour Ovale ou du Donjon. Le périmètre de la cour Ovale est en partie celui du château primitif. C’est là que s’élevait, au douzième siècle, le vieux manoir féodal, avec ses tours et ses donjons, qu’habitaient Louis VII et sa cour ; véritable citadelle, défendue alors par un fossé et entourée d’une épaisse forêt, comme Walter Scott nous représente la demeure de Cedric le Saxon, en Angleterre, à la même époque. Il ne reste plus rien aujourd’hui du manoir féodal. S’il y a encore quelques parties anciennes, comme le Pavillon de Saint-Louis, qui occupe le fond de la cour, elles sont masquées par des dispositions architecturales et des décorations qui en ont changé le caractère. François Ier a presque tout rebâti, comme l’attestent çà et là les F, initiales de son nom, et les salamandres sculptées en relief sur la façade de la galerie des Fêtes, qui a retenu le nom de Galerie de Henri II, parce qu’elle fut décorée sous le règne de ce souverain. — Si l’on retrouve ici, comme dans le reste du château un pêle-mêle désordonné de constructions et de styles, cette partie du moins échappe à la banalité et offre quelques détails assez curieux de l’architecture de la Renaissance.

La cour Ovale (voy. la gravure p. 4) a deux entrées monumentales : l’une faisant face à l’avenue de Maintenon, élevée entre le parterre et l’étang des carpes, et célèbre sous le nom de Porte-Dorée, moins à cause de la profusion des dorures de son ornementation que par les peintures dont l’avait décorée Primatice. Ces peintures exécutées à fresque, qui ont été longtemps attribuées au Rosso, ont été restaurées ou plutôt refaites à l’encaustique, en 1835, par M. Picot. Quelle que soit la part respective qui revient à chacun des artistes, elles sont en elles-mêmes d’un très-médiocre intérêt. C’est par cette porte que Charles-Quint fit son entrée en 1539.

L’autre entrée monumentale, désignée sous le nom de porte Dauphine, ou Baptistère, parce que Louis XIII, âgé de près de cinq ans, fut baptisé sous le dôme qui la surmonte, s’ouvre vis-à-vis de la cour de Henri IV. Elle a un aspect étrange, incohérent, mais elle ne manque pas d’élégance. La façade extérieure, en style toscan rustique, ornée de deux masques antiques en marbre blanc, appartient par sa simplicité sévère et l’assise carrée de sa masse à l’art du commencement du XVIe siècle, et est en désaccord avec son couronnement aérien aux lignes courbes et brisées, qui est évidemment bien postérieur. C’est ainsi que d’un bout à l’autre de cette réunion d’édifices se trahissent les discordances de styles et les différences des époques.

En face de la porte Dauphine deux Hermès colossaux, deux têtes de Mercure à perruques du dix-septième siècle, posées sur des gaînes élevées, et qui ne manquent pas de tournure, marquent l’entrée de la vaste cour carrée des Offices, dont les bâtiments ont été construits par Henri IV. Cette cour a son entrée principale sur la place d’armes, place qui appelle aussi dans l’avenir une régularisation nécessaire pour la mettre en rapport avec la façade et la porte monumentale ouverte au milieu.

Pour compléter l’énumération des diverses constructions du palais de Fontainebleau, il ne reste plus qu’à indiquer les bâtiments entourant une cour intérieure, dite cour des Princes, dont une aile donnant sur le jardin de l’Orangerie ou de Diane, interdit au public, contient au premier étage la galerie de Diane, aujourd’hui la bibliothèque, et au rez-de-chaussée l’ancienne galerie des Cerfs, qu’on restaure en ce moment et où fut assassiné Monaldeschi.

Les châteaux de Fontainebleau, de Vincennes, de Compiègne, de Saint-Germain, de Marly, de Versailles, de Trianon, de Saint-Cloud, sont comme les grandes étapes de la monarchie en France ; les noms de quelques-uns résument des époques historiques. Presque tous les souverains ont fait des séjours plus ou moins prolongés au château de Fontainebleau, mais c’est le nom de François Ier qu’il rappelle avec le plus d’éclat, parce que c’est ce roi qui a le plus contribué à l’agrandir et à l’embellir, en y faisant briller le luxe inconnu des arts.

Les origines du château remontent au commencement du douzième siècle. Selon M. Champollion-Figeac, le dernier historien du château, il y a de grandes probabilités pour en attribuer La fondation à Louis le Gros. En effet Louis VII, son successeur, dut trouver un manoir féodal tout bâti, puisque, dès la première année de son règne, il datait une charte de Fontainebleau (apud fontem Bleaudi) qu’il habitait, ayant autour de lui les grands officiers de sa couronne. Une de ses dernières chartes est relative à la fondation de la chapelle Saint-Saturnin (sur le côté sud de la cour Ovale). Il y assure la provision de blé et de vin à fournir en temps ordinaire au chapelain, auquel il octroie, avec une munificence royale, ration entière quand la cour est à Fontainebleau. « Et voulons que toutes les fois que nous, ou la Reine, serons en ce lieu, le dit chapelain ait quatre pains, demi-septier de vin, deux deniers pour sa dépense

  1. Cette statue n’est peut-être là que provisoirement ; on dit qu’on doit y restituer la statue de Persée qui décorait la fontaine dans le principe.