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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/144

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du Para le 7 août, les explorateurs y rentraient le 24 octobre, après un trajet d’une quarantaine de lieues dans l’intérieur du Tocantins.

Ce laps de temps, si court qu’il eut été, leur avait suffi pour fonder sur les bords de cette rivière quatre villages : deux sur la rive gauche : Cameta et São Bernardo da Pederneira, qui fut depuis Alcobaça ; deux sur sa rive droite : Baiao et Funil. De ces quatre villages, un seul prit de l’extension, grâce à sa situation avantageuse près de l’embouchure du Tocantins, ce fut Cameta ; les autres restèrent dans l’ombre.

Dix ans après le voyage de Fray Christophe, Cameta, élevée au rang de ville par le Capitão-Mor de la province du Para, Luis do Rego Barros, prenait le nom de Villa Viçoza de Santa-Cruz de Cameta, et devenait le point le plus important du Bas-Amazone. Quelques lignes de plus sur le passé de cette capitale du Tocantins donneront un peu de relief au portrait que nous faisons d’elle.

C’est de Cameta, que part, le 24 octobre 1637, pour son expédition de l’Équateur, Pedro Teixeira le hardi capitaine. L’Armada qu’il commande, se compose de deux lanchas et de quarante cinq pirogues montées par soixante soldats portugais et mille Indiens archers ou rameurs. Son état-major compte un capitaine et quatre officiers, un adjudant, deux sergents d’ordonnance, un trésorier, et un plumitif faisant fonction de secrétaire. La population de Cameta, effrayée d’avoir à nourrir tant de bouches, hâte de tous ses vœux Le départ des navigateurs.

Le 6 décembre 1639, à son retour de Quito, Pedro Teixeira fait halte à Cameta. Il a suivi le chemin tracé un siècle auparavant par l’Espagnol Francisco Orellana. Si, comme lui, il n’a pas eu maille à partir avec les Amazones, il a entendu parler d’elles, ainsi qu’il appert de la relation de son historiographe.

Le temps passe. Les années, en se succédant ne font qu’ajouter à la prospérité de Cameta. Elle est devenue le comptoir-échelle où s’arrêtent les navigateurs et les commerçants qui remontent ou descendent le cours de l’Amazone. La découverte de mines d’or dans les provinces de Goyaz et de Cuyaba, et l’affluence de gens qu’elles attirent dans l’intérieur du Tocantins, où, dit-on, ce métal abonde, accroissent encore l’importance de Cameta. Il est vrai que, pour le plus grand nombre de ces explorateurs, la recherche de l’or n’est qu’un prétexte. Une fois dans le Tocantins, au lieu de fouiller la montagne, ils battent la forêt et font main basse sur les Indiens Guarajus, Guaranis, Timbiras, Carajas, Apinagés, Gaviaos et autres castes de pelle avermelluda, comme disent les textes, lesquelles peuplent les deux côtés de la rivière et les bords de ses affluents.

Cent vingt ans se sont écoulés depuis la fondation de Cameta. À l’autocratie des Capucins a succédé celle des Carmes. À leur tour ceux-ci ont fait place aux Pères de Jésus. L’astre de Fray Christophe a disparu de l’horizon, éclipsé par celui du Jésuite Vieira, esprit fougueux, prédicateur célèbre. La foule se passionne aux sermons de ce Révérend, qui tonne et fulmine pourtant, et foudroie de son mieux les adorateurs du veau d’or et les chercheurs de mines qui parcourent le Tocantins. Aveuglé par un succès toujours croissant, le P. Vieira déploie dans ses homélies une telle faconde, et heurte si bien les tendances et les opinions de la majorité, qu’un jour le peuple, sans égard pour ses dilemmes et ses syllogismes, l’arrache de la chaire, l’embarque de nuit avec plusieurs de ses adeptes, et les conduit dans la forteresse de Gurupa. Le gouvernement les tire aussitôt de cette prison ; mais c’est pour les renvoyer à Lisbonne.

Durant quelques années, un grand silence se fait autour de Cameta ; puis les chercheurs d’or recommencent à sillonner les eaux du Tocantins. Avec eux reparaissent les recruteurs de Peaux-Rouges, qui vont poussant des reconnaissances à main armée dans tous ses affluents. Le vol à l’homme et le vol au métal s’organisent si bien et sur une si vaste échelle, que les capitaines généraux du Para s’en émeuvent, et, pour mettre un terme à ces pilleries, font élever des forteresses dans l’intérieur du Tocantins. Une d’elles, armée de six pierriers, est placée sous la paisible invocation de Notre-Dame de Nazareth. Autour de ces forteresses viennent se grouper des populations indigènes. C’est de cette époque que datent les villages fortifiés d’Arroïos, Muru, Itaboca, São João de Araguia et quelques autres.

Les choses restent dans cet état pendant plus d’un siècle ; puis une nouvelle ère politique commence pour le Brésil. La forme de son gouvernement est changée. Mais Cameta est bien changée aussi ! L’or de la rivière Tocantins est devenu rare et sa population indigène a singulièrement décru. Dans le Cameta d’aujourd’hui, relégué dans l’ombre et presque tombé dans l’oubli, qui reconnaîtrait la ville de commerce, tumultueuse et affairée, d’où sortaient et rentraient incessamment, comme les fourmis d’une fourmilière, tout un peuple de marchands, de navigateurs et d’aventuriers ?

Mais pendant que je m’apitoie sur le sort de Cameta, la marée, que nous attendions, est venue, le sloop s’est remis à flot de lui-même et s’éloigne du banc de sable qui le retenait.

Nous atteignons une des branches du trident que la rivière Moju (aliud Muju) plonge dans l’’Amazone, entre la rive droite de ce fleuve et l’île Marajo. Nous remontons la branche du trident jusqu’à l’endroit où le fer est emmanché au bois, et, tournant le dos au Moju, nous nous introduisons dans un chenal si étroit, que les avirons de nos gens frôlent en passant la végétation de ses rives.

Ce chenal, long de deux kilomètres, date de 1821, et fut percé à travers bois, pour faciliter le transit entre la rivière Moju et l’Igarapé-Miri. Le soin de ce travail fut confié à un capitaine du génie, appelé Ignacio Pereira, qui, s’il faut en croire certain major, historiographe de la province du Para, ignorait jusqu’aux premiers éléments de l’arithmétique. « Ignaro até dos primeiros principios da Arithmètica. » Quoi qu’il en fut de cet ingénieur, l’œuvre qu’il avait entreprise se poursuivit et s’acheva, mais ne put être perfectionnée à cause du