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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/16

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marque que Diane de Poitiers, favorite toute-puissante sous Henri II, donna aux artistes ses proportions, sa taille, son port, sa tête, et que ce modèle devint une sorte de type de la beauté féminine pour l’école de Fontainebleau.

La rivalité des artistes se doublait de la haine de deux femmes, maîtresses l’une du roi, l’autre du dauphin, son fils, qui devait être plus tard Henri II. Celui-ci avait obtenu que Rosso peignît dans un panneau de la galerie de François Ier, sous les traits de Diane de Poitiers, la nymphe de Belle-eau. Mais la duchesse d’Estampes, qui régnait alors, fit interrompre cette peinture et chargea Primatice de la remplacer par une Danaé. Rosso acheva la copie de son ouvrage et exhala son mécontentement dans une inscription mise au bas de sa peinture.

Si l’invasion de l’art italien à Fontainebleau a exercé une influence réelle sur l’art français, influence qui ne pouvait être que funeste, et le jeter dans une fausse direction, car il était lui-même sur la pente rapide de la décadence, c’est à Primatice qu’il faut attribuer l’action principale : pendant quatre règnes il conserva la suprématie sur les travaux artistiques. Il fut pour cette période ce que plus tard Lebrun fut pour l’époque de Louis XIV.

Le nom de Primatice est particulièrement attaché à trois grandes décorations dans le château de Fontainebleau : celles de la porte Dorée ; celles de la chambre de la duchesse d’Estampes et de la galerie des fêtes. Toutes ces peintures à fresques, altérées ou détruites, ont été refaites sous le règne de Louis-Philippe.

La chambre de la duchesse d’Estampes, ornée de peintures, de figures en relief et d’ornements en stuc, appartient par le caractère de sa décoration au goût artistique de la Renaissance, que nous avons précédemment signalé dans la galerie de François Ier. Primatice a fourni les dessins des huit compositions, dont le héros est Alexandre ; allusion au roi belliqueux, vainqueur de Marignan ; mais allusion indirecte ; plus tard, sous Louis XIV, l’art affichera sans pudeur la grosse et inepte flatterie : on aura le dieu-Soleil et le dieu-Hercule, affublé de la perruque du grand roi. Déjà dès l’année 1642 quatre de ces tableaux étaient méconnaissables ; quelques autres périrent, quand cette chambre fut transformée en escalier (l’escalier du Roi). Abel de Pujol refit à l’encaustique ces peintures en 1835 ; et il substitua à un des sujets une scène de son invention : Alexandre coupant le nœud gordien. M. Poirson lui a reproché avec raison d’avoir introduit dans plusieurs figures entières, et dans beaucoup de têtes les formes adoptées par David et par son école, et qui diffèrent entièrement de celles de la Renaissance. De grandes figures en relief, dessinées d’une manière incorrecte par Primatice, ou exécutées par des praticiens peu habiles, forment à côté des compositions peintes des groupes un peu libres, en rapport avec la destination première de cette chambre. Dans l’enivrement esthétique causé à l’époque de la Renaissance par les poétiques images de la mythologie antique, les artistes emploient à profusion les nudités, ou en abusent sans motifs. Non content de faire triompher la figure humaine dans le tableau, on la fait servir encore à l’encadrement ; et ce rapprochement d’images semblables établit un antagonisme nuisible entre ce qui est le principal et ce qui ne devait être que l’accessoire. C’est un défaut dans lequel, à notre avis, est tombé le grand Michel-Ange, lui-même, dans son immortel plafond de la Sixtine.

La merveille du palais est la galerie des fêtes ou galerie de Henri II, construite par François Ier et décorée par son successeur. Elle a été splendidement restaurée par Louis-Philippe. Elle est éclairée par dix croisées : cinq ouvertes sur la cour Ovale ; cinq sur le parterre. Entre chacune de ces dernières s’élève un massif de maçonnerie, faisant saillie dans la salle, de façon qu’il y a cinq baies profondes, sortes de chambres séparées, entourées de bancs, où l’on peut se tenir à l’écart du mouvement de la grande galerie. Les sujets mythologiques dont cette magnifique salle est décorée, composés par Primatice, et peints à fresque, avaient péri en partie ; ils ont été restaurés avec talent, en 1834, et repeints à l’encaustique par M. Alaux. Ils sont au nombre de plus de soixante-trois. Huit grandes compositions occupent les espaces compris entre les arcades des baies éclairées par les croisées ; condition qui les rend difficiles à voir, parce que la vue est offusquée par le jour. Plusieurs de ces compositions comprennent un grand nombre de figures. Un aussi vaste ensemble de peintures, qui n’eût point étonné en Italie, était alors une rare magnificence pour la France. Primatice y déploya un talent fécond, souple et facile. Plusieurs de ses figures de femmes ont de la grâce et de l’élégance ; mais leurs poses sont parfois maniérées ; le dessin n’est pas toujours correct. Ce qui manque surtout à cette peinture, reflet agréable mais affaibli du grand art italien contemporain, c’est l’ampleur et la simplicité. La multiplicité du détail dans les grandes compositions n’est qu’une richesse mensongère. Peu de matière et beaucoup d’art, écrivait un jour Courier, avec beaucoup de sens.

Tous Les sujets, point n’est besoin de le dire, sont empruntés à la mythologie. À aucune époque la littérature et l’art ne subirent une révolution aussi rapide et aussi passionnée qu’à celle de la Renaissance. Le paganisme les envahit. Un enthousiasme universel s’empara de tous les esprits, et, comme il arrive toujours en pareille circonstance, un goût légitime dégénéra bientôt en engouement et en manie ; et, après la brillante révélation du paganisme, on en vint, suivant l’expression du Dante, à la puanteur du paganisme (il puzzo del paganesmo). L’art ne vit plus dans les sujets empruntés à la fable que des images propres à flatter les goûts sensuels. L’art du moyen âge avait été impuissant à rendre sensible la beauté de la forme humaine. La sculpture antique exhumée la révélait dans toute sa grandeur et sa pureté esthétique. La mythologie fournissait des milliers de sujets qui autorisaient l’emploi du nu ; Vénus, les Grâces, tout le chœur riant des nymphes… Quel enchantement nouveau, contrastant avec les tristesses austères ou les laideurs grotesques de l’iconographie chrétienne !