On a dit avec raison que la galerie d’Henri II est « l’expression la plus naïve et la plus forte de l’époque ; période de monarchie absolue ; temps où le prince disposait sans contrôle de la fortune publique et en usait au gré de ses goûts et de ses passions. » On est ici chez le roi, sous le régime du bon plaisir. Au lieu des graves et viriles impressions que l’on éprouve à voir, en Italie, les palais municipaux, élevés et décorés richement par les Républiques du moyen âge, on ne ressent ici qu’une vaine curiosité à la vue d’un luxe de cour, auquel les artistes ont associé les souvenirs et les fantaisies de la galanterie du souverain. L’esprit est transporté hors de l’histoire et abaissé jusqu’à l’anecdote scandaleuse. Diane et ses emblèmes, les arcs, les flèches, rappellent Diane de Poitiers, cette favorite toute-puissante pendant le règne d’Henri II ; cette femme qui resta belle jusqu’à sa mort et avait déjà cinquante ans, en 1547, quand ce prince monta sur le trône. Les historiens du règne d’Henri II et les écrivains qui ont décrit le château signalent comme un scandale ces emblèmes, ces croissants multipliés à profusion sur les trumeaux de chêne au pourtour de la salle, ces chiffres unis du roi et de sa maîtresse (deux D adossés dans un H), qui se voient encore sculptés sur les frises des bâtiments de la cour du Louvre, à Paris. Quoique les mœurs du temps légitimassent, pour ainsi dire, l’usage royal d’afficher publiquement une maîtresse à côté de la femme légitime, d’avoir, comme on disait alors, une femme de campagne et une femme de ville, c’eût été un tel excès d’impudence d’infliger à la reine l’insulte et l’affront de voir gravé sur le palais qu’elle habitait et jusque dans ses appartements le chiffre de sa rivale, qu’une pareille énormité était faite au moins pour éveiller des doutes. Aussi, après un examen plus attentif, il paraîtrait que les colères des écrivains tombent ici à faux ; et si complétement à faux, qu’il faudrait rapporter à la reine, à la femme légitime, ce que par une équivoque facile — et consentie peut-être, — on attribuait à la maîtresse ; les chiffres accouplés seraient dûment autorisés par le sacrement de l’Église : ce seraient deux C adossés (première lettre du nom de Catherine de Médicis) qui, appuyés sur les jambages de l’H, auraient été pris pour des D…
Quant aux croissants, qui, dans cette salle, où Primatice a mis en peinture tout le dictionnaire de la fable, peuvent à la rigueur être mis au compte de Diane, on a également essayé de les revendiquer pour Catherine de Médicis, qui aurait eu pour emblème un croissant avec la devise : donec totum impleat orbem. Mais cette interprétation est bien complaisante, et on ne saurait dissimuler que toutes les représentations figurées, toutes les allusions poétiques du temps tendent à confondre la déesse chasseresse avec la duchesse de Valentinois. Sa devise est une flèche avec cette légende : Consequitur quodcunque petit : Elle atteint tout ce qu’elle vise.
Primatice devait exercer une action favorable sur l’art français, moins par le charme de ses compositions que par les statues et les moulages de statues antiques qu’il rapporta d’Italie par ordre de François Ier. Un atelier de fonderie fut établi à Fontainebleau. « Dans les moules venus de Rome, il ne fut coulé que du bronze. » Il faut citer parmi les plus remarquables de ces statues : l’Apollon du Belvédère, le Laocoon, la Cléopatre (Ariane), la Vénus de Praxitèle, etc… qui ornent aujourd’hui le jardin des Tuileries ; la statue du Tibre, qui fut fondue l’an II de la République pour en faire des centimes.
À son retour d’Italie, Primatice eut, à Fontainebleau, de vifs démêlés avec l’orfévre et statuaire florentin Benvenuto Cellini, que François Ier avait également chargé de travaux importants. Cellini, par son humeur irritable et violente, s’était fait une ennemie de la duchesse d’Estampes, qui fit donner à Primatice, son protégé, le travail d’une fontaine, déjà confié au premier. Le vindicatif Florentin, moitié artiste, moitié spadassin, vint trouver Primatice ; et, sans s’arrêter aux courtoisies lombardes de son accueil (certe sue lombardesche accoglienze), il lui déclara net que, s’il apprenait que celui-ci voulût continuer à le supplanter dans sa commande, il le tuerait comme un chien ; et il était homme à le faire ! Heureusement cet incommode compagnon finit par se brouiller avec le roi lui-même et reprit le chemin de l’Italie, n’ayant terminé aucun des ouvrages qu’il avait commencés pour la décoration du palais.
On lit avec intérêt dans ses curieux Mémoires les récits plaisants et si personnels de ses conflits avec la duchesse d’Estampes et des mortifications que son imprudence lui attira. Ayant fait transporter dans la galerie de François Ier un Jupiter en argent, qu’il venait de terminer pour le roi, il fut surpris d’y trouver réunies les belles statues antiques coulées en bronze, et, malgré son outrecuidance, il ne put s’empêcher de trouver là un voisinage redoutable. Le roi, et les courtisans à la suite, donnèrent à son Jupiter des louanges dont il exagère probablement les expressions. « En vérité, s’écria hardiment la duchesse d’Étampes (qu’on a appelée la plus belle des savantes et la plus savante des belles), on dirait que vous n’avez pas d’yeux. C’est dans ces belles figures antiques que réside la perfection de l’art, et non dans ces babioles modernes (e non in queste baiate moderne). » Cellini, exaspéré, trouva le moyen de se venger au moyen d’une grossière plaisanterie, qui fut prise à insulte par la favorite. Il s’était jeté dans une lutte où il devait succomber. En 1545 il retournait en Italie ; « on songeait alors à la guerre plus qu’aux statues (era tempo da militare e non da statuare). »
Un dernier artiste Niccolò dell’ Abbate, de Modène, né en 1512, mort à Fontainebleau en 1571, doit être cité comme un des fondateurs de l’école de Fontainebleau avec Rosso et Primatice. Il fut le plus habile des artistes qui aidaient Primatice dans ses travaux de peinture et de figures en relief exécutées en stuc. Il peignit d’après les dessins de celui-ci 58 sujets de l’histoire d’Ulysse dans une galerie qui fut détruite en 1730, par ordre de Louis XV, comme il est dit plus haut. C’est ainsi que périssaient successivement, soit par les