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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/176

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de hauteur environ ; aussi, au bout d’un instant, mon ami, plein d’impatience et de dépit, était-il couvert de sueur : « Là, là, » lui disait tout bas le kanak, non moins désespéré que lui ; à ce moment, craignant de voir fuir ce notou, comme le précédent, je fis feu subitement et l’oiseau sans vie tomba à nos pieds.

Mais revenons à ma première excursion.

Sur les dix heures du matin nous fîmes halte au bord d’un bassin naturel, creusé dans le roc, au milieu du lit du ruisseau, par les eaux de ce petit courant qui tombaient en cascade. Selon l’usage que je commençai alors à bien connaître et duquel je ne me suis jamais départi depuis, nous commençâmes par nous plonger dans cette eau si claire, si vive, si fraîche ; j’engage l’habitant et surtout le voyageur en Nouvelle-Calédonie à se baigner au moins une fois par jour ; je crois les nombreux ruisseaux de ce pays doués d’une vertu réparatrice particulière. Souvent, à l’imitation des naturels, je me suis plongé dans l’eau fraîche des rivières, couvert de sueur, après de longues et pénibles routes ; je me suis baigné le matin après avoir été refroidi toute la nuit par une longue pluie, et toujours, après le bain, mes fatigues avaient disparu, mes forces étaient renouvelées ; je comprends que des eaux stagnantes puissent ne pas être sans mauvaise influence ; mais il n’en est plus de même quand il s’agit de ces eaux rapides qui descendent de cascade en cascade, souvent sous forme de pluie, en s’imprégnant d’oxygène ; ces eaux sont, pour ainsi dire, vivantes et respirent. Le kanak s’il a chaud, s’il transpire, cherche l’eau la plus fraîche pour s’y plonger ; l’Européen, qui l’a vu agir ainsi, a attribué à cette coutume les maladies de poitrine dont cette race a tant à souffrir ; mais, d’après mes propres observations, cette immersion est au contraire une des plus rares causes de maladie chez ces insulaires, si toutefois même, elle en est jamais une.

Pendant qu’avec bonheur nous savourions les charmes de ce bain naturel, les kanaks étalaient sur une roche, à l’abri du soleil, le menu de notre modeste repas, c’est-à-dire de la viande salée et du biscuit ; c’était peu, eh ! bien, c’est un des meilleurs repas que j’aie jamais faits ; une eau cristalline murmurait à côté de nous, et nous n’avions qu’à étendre la main pour remplir nos verres ; une charmante sensation de fraîcheur et de pureté naissait pour nous du voisinage de cette eau vive et scintillante.

Nous réservions les pigeons (car j’en avais tué à mon tour) pour le dîner ; quant à nos guides ils dévorèrent quelques biscuits, puis mordirent de leurs belles dents blanches les cannes à sucre dont ils avaient fait provision.

Le soleil était presque au zénith, mais le voisinage du ruisseau et des grands bois entretenait dans ces lieux une certaine humidité qui rendait la température très-supportable ; nous étions du reste déjà à une certaine altitude ; à midi nous reprîmes notre voyage, et nous vîmes les travaux de recherches de houille déjà tentées et qui n’avaient pas eu de résultat heureux ; du reste, en ce point, l’affleurement exploité ne paraissait pas promettre grande chance de réussite.

Vers les cinq heures du soir nous cherchâmes un campement pour la nuit ; nous étions sortis des bois ; il nous fallait un emplacement, qui situé à une certaine hauteur, à cause des moustiques trop nombreux dans les bas-fonds, ne fût cependant pas trop loin de l’eau. Notre choix s’arrêta sur un petit monticule qui dominait la rivière Dumbéa et les grandes plaines. Aussitôt chacun se mit à l’œuvre ; les kanaks avec leur tomahawk coupèrent rapidement quelques jeunes arbres très-droits, qu’ils appuyèrent sur les branches d’un niaoulis au pied duquel le sol était uni ; le même arbre et quelques-uns de ses frères des environs nous prêtèrent leur écorce imperméable à la pluie, que les kanaks, après avoir fait le long du tronc de l’arbre une incision longitudinale, déroulaient en longues bandes avec une merveilleuse adresse ; ces bandes, étalées sar les perches inclinées et fixées au moyen de branchages, devaient nous protéger contre la rosée et la pluie ; vingt minutes suffirent à notre installation. — Un grand feu était déjà allumé ; c’est par là que commence du reste toujours le kanak qui, en voyage, porte ordinairement à la main un tison de bois très-sec enflammé et, dans chaque halte qu’il fait, ne fût-elle que de quelques minutes, allume un petit feu, qu’il oublie souvent d’éteindre quand il repart. Il en résulte, dans la saison sèche, des incendies qui s’étendent jusqu’à ce que des terres stériles ou des ruisseaux les arrêtent.

Tout en donnant la main aux préparatifs de notre souper, M. Joubert m’instruisait des mœurs et coutumes du pays. Il me montra la plaine au-dessous de nous ; alors seulement je m’aperçus qu’elle était en feu sur une grande surface. Un tourbillon de fumée planait au-dessus. Favorisé par la sécheresse de la saison et la brise du soir, le feu se répandait avec une rapidité effrayante, se dirigeant en partie de notre côté ; à cet aspect, je me rappelai tous les récits lamentables de voyageurs malheureux surpris par l’incendie au milieu des prairies et je manifestai mes craintes à mon compagnon de voyage :

« Nous n’avons rien à redouter, me répondit-il ; ce sont probablement nos kanaks qui ont incendié les herbes sur notre route ; c’est leur habitude d’en agir ainsi quand ils voyagent sur le territoire de leur tribu et qu’ils y rencontrent des terres propres à une bonne culture ; ils détruisent alors par le feu les herbes et les jeunes plantes dans l’espoir d’y revenir établir leurs plantations après la saison des pluies ; quant à du danger, s’il y en avait, nos indigènes nous en tireraient certainement. »

Pendant ce temps, un de nos kanaks avait creusé un trou en terre et faisait chauffer dans un feu immense des galets gros comme les deux poings ; son camarade était allé chercher de l’eau ; comme nous n’avions pas de vase, il l’avait mise dans un sachet en écorce de niaoulis, bien saine, dont les bords relevés étaient retenus par