réjouir les yeux. Aucune habitation ne touche l’habitation voisine ; toutes sont enveloppées de leurs jardins sans clôture, ou fermés seulement par une haie. À gauche, ils confinent aux premières pentes des coteaux, où ondoient en guirlandes, où s’étagent des vignobles ; à droite, ils ont pour borne l’impétueuse et innocente rivière, dont les eaux peu profondes tempêtent, menacent beaucoup, sans faire de mal. Et au-dessus des terres cultivées, des galeries de pampres verdoyants, montent les hauts talus, que drapent les pâturages inclinés, le manteau des bois résineux, le splendide brocard des genêts en fleur. La plante aux rameaux d’or abonde tellement qu’elle festonne des arpents entiers de ses broderies capricieuses. On la dirait semée avec intention pour quelque usage domestique. Et par instants, un nuage que la brise promène rampe sur les versants, ou coiffe un piton de sa ouate légère.
L’hôte du Tilleul et son auberge, sans exciter l’admiration
comme le paysage, ne laissent pas d’éveiller
l’intérêt, surtout quand on arrive en ligne droite de Paris.
Et d’abord, c’est un établissement où l’on ne boit
que du vin ; n’allez pas, au nom du ciel ! demander de
la bière ! L’hôte, d’abord empressé, froncerait majestueusement
le sourcil : vous auriez blessé en lui le sentiment
des convenances hiérarchiques : l’homme qui
vend du vin occupe en Allemagne un rang bien plus
Intérieur d’une auberge de la Forêt-Noire. — Dessin de Stroobant d’après nature.
élevé que le simple marchand de bière. Tel aubergiste
se fâcherait tout rouge, au seul nom de la liqueur.
Prenez garde, ménagez sa dignité ; plus tard, quand il
vous connaîtra mieux, quand vous aurez fait de la dépense,
il ne se formalisera point si vous lui demandez
de la bière avec timidité ; il sourira même d’un air indulgent
et amical ; par estime pour vous… et pour votre
bourse, il fera le sacrifice de vous envoyer chercher la
boisson vulgaire : il donnera ostensiblement à son fils
aîné de l’argent et une bouteille, que le jeune homme
fera emplir dans une brasserie et dont vous payerez deux
ou trois fois la valeur. Toute complaisance mérite salaire.
Là où le vin abonde et n’est pas cher, comme dans
la Forêt-Noire, ces imposantes distinctions gênent peu
le consommateur ; mais dans la triste et pauvre Allemagne
du Nord, où luttent également l’aristocratie du vin
et la démocratie de la bière, la morgue des hôteliers devient
tyrannique. Ces marchands superbes vous forcent
à demander du vin, qui coûte trois francs ou trois francs
soixante-quinze centimes la bouteille ; le liquide est parfois
bon, toujours très-ordinaire, souvent frelaté ; il n’y
en a pas beaucoup, la bouteille en miniature ne renfermant
que trois verres. Pour une boisson pareille, le mal
n’est pas grand ; mais ce qui délecte peu le voyageur,
c’est qu’elle double le prix de chaque repas.
Je demande donc une chope de vin et je m’assieds