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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/228

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côté à la pente de la montagne. Le rez-de-chaussée est en pierre et abrite les bestiaux : une ou deux portes ouvertes sur la façade donnent accès dans l’endroit où on les loge. Devant les portes on ménage une petite esplanade, que borde, hélas ! un grand trou à fumier. C’est commode, parce qu’on peut de cette façon aisément tirer hors du logis la litière foulée, humectée par les animaux, mais ce n’est pas propre et c’est encore moins poétique. Les montagnards ont juste sous les yeux et sous le nez l’amas d’engrais, qui n’exhale point les odeurs les plus suaves. L’air embaumé de la montagne et ses vents rapides combattent heureusement ou dissipent les émanations déplaisantes.

Le premier étage est consacré aux pièces d’habitation : elles occupent le devant et sont tantôt construites en bois seul, tantôt en bois mêlé de plâtre et de briques. Derrière, contre le talus, dans l’espace qui reste, on bâtit en pierre soit une bergerie, soit une étable supplémentaire, ou on laisse un vide servant de hangar pour remiser les voitures, pour empiler le bois de chauffage. Sur une des parois latérales se trouve l’escalier en plein air, aboutissant à un pallier qui forme perron.

Sous les fenêtres de la façade, ou contre le flanc de la maison tourné vers le midi, bourdonnent invariablement deux lignes de ruches posées sur des tablettes, ou un rucher en armoire que l’on ferme pendant l’âpre saison.

L’édifice a pour couronnement un vaste grenier tout en planches, d’une forme très-curieuse. Au pignon antérieur, la clôture de sapin ou de hêtre surplombe la ligne de la façade, composant un premier abri pour les étages inférieurs et protégé lui-même par la saillie du toit. Cette saillie énorme protége aussi l’escalier, des échelles, de la filasse, des paquets d’ognons, tout un magasin suspendu sous l’auvent. Le pignon opposé, auquel aboutit un chemin, offre d’abord un espace libre, un vrai porche, où l’on peut travailler, où sont attachés aux pentes de la toiture la herse et les traîneaux. Une grande porte à deux battants s’ouvre au milieu de la clôture en retraite ; elle permet aux voitures pleines de foin et de paille d’entrer directement dans le grenier, où elles roulent au-dessus des pièces d’habitation ; le plancher est solide en conséquence. Ce mode singulier de construction épargne aux montagnards beaucoup de temps, puisqu’il les dispense de hisser le fourrage, soit à dos d’homme, soit avec des poulies, et même de le botteler, car ils Le lancent directement du véhicule à la place qu’on lui destine.

Les chalets de la Forêt-Noire sont couverts en chaume, en bardeaux ou en tuiles. Quelquefois les tuiles occupent seulement le faîte et la paille abrite les pentes, bizarre amalgame dont on s’étonne avec raison. Une mitre solide coiffe le haut de la cheminée, fermant le passage à la pluie, à la neige et à la grêle.

Ces rustiques édifices ont un aspect en même temps très-lourd et très-original. Ce sont évidemment des forteresses contre l’hiver. Son énorme capuchon de paille enfoncé jusqu’aux yeux, la chaumière semble accroupie et ramassée sur elle-même, semble presser autour d’elle son manteau pour se garantir de la bise. Ombragées par la saillie du pignon, les fenêtres ont l’air de regarder en dessous. L’attirail suspendu autour de la maison produit l’effet le plus pittoresque et eût charmé Ruysdael, fourni à Weirotter d’excellents motifs.

Pendant que j’examinais avec soin le dehors d’une cabane, en tournant alentour, on paraissait à l’intérieur fort préoccupé de mon attention. Et comme je désirais pénétrer dans la chaumière, au premier mouvement que je fis vers l’escalier, une jeune paysanne fraîche et potelée, aux grosses joues vermeilles, descendit rapidement, courut à une petite loge de bois, construite sur une auge où tombait l’eau d’une fontaine agreste, et l’ouvrit sans me rien dire. Le pavillon renfermait des cruches pleines de lait, que la source entourait de fraîcheur. La campagnarde remplit un verre et me l’offrit en souriant. Persuadé que c’était l’usage d’accueillir ainsi les voyageurs, pour leur souhaiter la bienvenue, je saluai la paysanne, en gardant comme elle le silence, et je fis honneur à la boisson, un lait délicieux, au surplus, dont un parfum d’ambre relevait encore la saveur.

« Merci, mademoiselle, dis-je enfin, il est exquis et ne pouvait venir plus à propos, car je mourais de soif ; vous voyez comme le soleil darde aujourd’hui ses rayons ; je voudrais même prendre un peu de repos chez vous, car je n’aperçois près d’ici aucun arbre qui puisse me protéger contre la chaleur. »

Ainsi je parlais, avec une arrière-pensée diplomatique.

« Entrez, monsieur, me dit la jeune fille ; vous allez trouver mon père et ma mère dans la maison. »

Le père se leva pour me recevoir et la mère fit un signe de tête. Le paysan avait la mine fleurie que l’air pur des montagnes, l’usage du lait sous toutes ses formes et d’autres aliments aussi sains donnent aux habitants de la Forêt-Noire, et sous ses cheveux qui commençaient à grisonner, il avait la chair rose d’un adolescent. Quelle solide mâchoire ! quelles joues épaisses ! une vraie tête carrée, expression que justifie pleinement la population du Schwartzwald, ou, pour mieux dire, une partie de la population ; car on distingue très-bien deux races différentes, dont l’une a, comme le maître du chalet, le bas de la figure aussi large que le front : le visage forme en réalité quatre angles adoucis. On ne peut pas dire que ce galbe soit élégant, mais il annonce la force. Le crâne a d’ailleurs un développement peu ordinaire. La poitrine, les bras, les hanches, tout le corps, en un mot, dénote aussi la vigueur. Comme il faisait chaud, le montagnard avait ôté sa veste de travail, et son gilet rouge, aux boutons de cuivre, étincelait dans un rayon de soleil, projetait même des reflets de pourpre sur les objets voisins.

La maîtresse de la maison appartenait à la seconde race de la Forêt-Noire, race aux traits fins, au visage ovale, au regard animé, aux cheveux bruns ou châtains,