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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/229

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où tout forme contraste avec les têtes puissantes, l’œil placide et les cheveux blonds de la première. Elle avait dû être jolie, mais hélas ! la nature était occupée à détruire son propre ouvrage.

Après avoir échangé avec le couple mûrissant quelques phrases banales, suivant un usage consacré dans tous les pays, j’arrivai à mes fins.

« Vous allez peut-être me trouver bien indiscret et bien curieux, dis-je au montagnard, mais je vous avoue qu’il me serait fort agréable d’examiner l’intérieur de votre logis. Nous habitons en France, dans les grandes villes surtout, des bâtiments d’une forme très-différente.

— Comment sont-elles donc faites, vos maisons ?

— Ce serait bien long à vous expliquer, mais elles n’ont aucun rapport avec les vôtres.

— Je comprends : elles sont comme celles d’Achern et d’Oberkirch.

— Pas le moins du monde.

— En vérité ? me dit le paysan d’un air assez incrédule ; eh bien, venez. Si la nôtre vous plaît, vous pourrez vous en faire construire une pareille. »

Et il me conduisit dans le vestibule, petite pièce carrée où donnaient toutes les portes, y compris la porte extérieure : un escalier en bois permet de monter au grenier sans sortir de l’habitation, circonstance précieuse pendant l’hiver, surtout pendant les hautes neiges. À gauche, s’ouvrait la porte par laquelle j’étais entré, menant à la pièce où mange la famille, où cousent les femmes, où l’on se tient d’habitude. De grands vitrages l’éclairent, un énorme poêle de faïence la chauffe, des bancs, une table et des chaises de bois, comme ceux que j’ai décrits, en forment l’ameublement. Une cloison de bois l’environne. De cette chambre, on passe dans une chambre plus petite qui renferme les lits, simples couchettes en sapin ou en hêtre, dont les planches ont gardé leur couleur naturelle. Le poêle chauffe les deux pièces.

« Combien de degrés de froid avez-vous sur la montagne pendant l’hiver ? demandai-je au paysan.

— Je n’ai jamais cherché à le savoir ; mais pour sûr il ne fait pas chaud. Cela nous est égal, du reste, car nous avons du bois en abondance et pour rien. Les gens de la plaine et des vallées disent même que nous nous faisons cuire. Il y en a qui ne veulent pas entrer dans nos chalets, ou en sortent presque aussitôt. Ils prétendent que la chaleur les incommode,

— Vous avez du bois pour rien, m’avez-vous dit : est-ce qu’une fée vous l’apporte ?

— Une fée ? Ah bien oui ! La commune nous le distribue.

— C’est un usage qu’on devrait établir en France ; si la ville de Paris m’envoyait chaque année à domicile ma provision de bois, j’approuverais hautement cette coutume.

— Demandez-le ; on vous satisfera peut-être. Nous avons ici de grandes forêts communales, qui nous fournissent abondamment du combustible, et même nous dispensent de tout impôt local. Les ventes annuelles suffisent pour payer l’entretien des routes, les appointements des gardes, les autres frais municipaux, les honoraires de deux instituteurs et d’une institutrice.

— Vous avez deux maîtres et une maîtresse d’école ?

— Sans doute ; et ce n’est pas trop. Ils se partagent la besogne. Le plus jeune instituteur apprend à lire, à écrire aux gamins et aux gamines. Le maître le plus âgé enseigne le calcul, l’histoire, la géographie aux bambins qui commencent à grandir ; l’institutrice remplit les mêmes fonctions pour les petites filles dont la taille se développe.

— Vos enfants alors doivent être plus instruits que les nôtres.

— Je ne sais pas comment sont les vôtres ; mais vous ne trouverez pas dans tout notre pays un seul individu qui manque d’éducation première. »

Je gardai le silence pour ne pas humilier devant un Germain la grande nation, comme elle s’appelle modestement elle-même, en ajoutant que Paris est le cerveau du monde.

Nous rentrâmes dans le vestibule, derrière lequel se trouve la cuisine, adossée par conséquent à la chambre du sommeil. Cette pièce antédiluvienne réhabilita d’un seul coup à mes yeux le peuple français. Elle entraîna mon imagination vers les époques les plus lointaines, me fit rêver d’Odin et de Freya. Quatre murs l’entouraient, quatre parois qui s’effrayaient mutuellement de leur couleur sombre et de leur nudité mélancolique. Des lames irrégulières de serpentine en forment le pavé. Dans un coin de la première muraille, contiguë par une extrémité à la pièce d’habitation, s’ouvre la bouche du poêle, et au-dessus monte un large tuyau de cheminée, qui traverse tout le grenier pour aller aboutir en haut du toit. Un peu sur la droite de ce tuyau, contre le mur qui ferme la chambre à coucher, se dressait un bloc de maçonnerie grossière, haut environ d’un demi-mètre et ayant un mètre carré de surface, où traînaient un peu de cendre, des restes de branches mortes et un trépied.

« Où sont les fourneaux, et, en l’absence des fourneaux, demandai-je au montagnard, où donc est le foyer ?

— Ne le voyez-vous point, me répliqua-t-il, là devant vous ?

— Ce massif de pierre, cette espèce de soubassement ? lui répondis-je.

— Sans doute. Que voulez-vous de plus ?

— Ah ! c’est là que vous faites votre cuisine : elle ne doit pas être variée.

— Elle nous suffit.

— Et vos ustensiles ?

— Une marmite en fonte et la poêle suspendue au mur, n’est-ce pas assez ?

— Quand on s’en contente, c’est très-bien. Mais la fumée, par où sort-elle ?

— Par ce tuyau donc.

— Il se trouve bien loin du feu.