d’Othon-Henri commencé l’année suivante ; le palais de Frédéric IV monta dans les airs de 1601 à 1607. La Tour tombée, due à Frédéric le Victorieux, avait été construite en 1455. Lorsque Mélac voulut la faire sauter, le ciment qui unissait les pierres était d’une solidité si grande, qu’elle se fendit en deux morceaux : une moitié resta debout, l’autre moitié tomba d’un seul bloc, ou, pour mieux dire, glissa et demeura couchée sur le flanc. Elle gît dans la même position depuis 1689, et, selon toute apparence, étonnera encore maintes générations.
Deux entrées donnent accès dans le château, l’une tournée vers le Neckar, l’autre vers la montagne. Quand on arrive par la première, qu’on a gravi un escalier monumental, d’un effet très-poétique, on débouche sur une plate-forme, d’où l’on aperçoit toute la ville, les hauteurs qui l’encadrent, puis la vaste plaine du Rhin. Si l’on se retourne, le palais de Frédéric IV déploie à vos yeux son élégante façade. Quoique bâtie au commencement du XVIIs siècle, on la prendrait pour une œuvre de la Renaissance : des meneaux en pierre divisent les fenêtres, et de spacieuses mansardes bordent la toiture ; entre les croisées s’ouvrent des niches, dont chacune renferme ou renfermait une statue. Au premier étage, les croisées ont pour amortissement deux arcades portant une rosace. Tout cela forme un ensemble qui ne laisse pas d’avoir bonne tournure. En traversant une galerie, on entre dans la cour et l’on aperçoit l’autre façade, exactement pareille à la première. Elle a gardé presque toutes ses statues, mais hélas ! dans quel état de dégradation !
À l’est du palais de Frédéric IV s’élève le palais d’Othon-Henri, formant avec le premier un angle droit. La violence des hommes, le feu du tonnerre, le sourd travail du temps, les averses et la neige l’ont bien plus dévasté que l’autre édifice. Les toitures, les planchers, toutes les constructions intérieures sont tombées ; les grands murs seuls n’ont pas fléchi sous la haine et les outrages du sort. Les fenêtres vides se découpent sur la tenture grise des nuages ou le velours bleu du ciel. Les statues n’ont point quitté leur poste : au quatrième étage se dressent encore Pluton et Jupiter, debout, isolés, sans les niches qui les protégeaient : tout le faîte du bâtiment s’est écroulé autour d’eux ; ils sont restés là immobiles, comme des justes soutenus par leurs convictions sur les ruines de leurs espérances. Malgré son délabrement, ce château produit encore un effet majestueux. Un accident de la nature en augmente le charme et le prestige. Des lierres se sont cramponnés à la façade, où ils grimpent plus haut chaque année ; ils encadrent Les fenêtres, les statues, les moulures : ils atteignent déjà la corniche du premier étage ; si on n’interrompt point leur marche ascendante, ils pavoiseront l’édifice tout entier, ou, pour mieux dire, l’envelopperont d’un frais linceul, et hâteront le moment qui doit coucher ses débris dans la poussière.
D’autres constructions, tellement dénudées qu’elles n’excitent même plus l’intérêt, environnent la cour, et l’on sort par une vieille porte jadis fortifiée, par un pont dormant, qui était autrefois un pont-levis. Le fossé profond, creusé au-dessous, est devenu un jardin superbe : de grands arbres y ont poussé, notamment des frênes, des hêtres et des sapins ; leurs clochers et leurs dômes de feuillage montent vers le spectateur, comme les faîtes d’une cité magique. On entend sous cette voûte humide chanter une petite source, qui tombe dans un bassin et passe pour avoir des propriétés curatives.
Le parc est planté d’arbres magnifiques, parvenus à ce degré de croissance qui donne seul aux végétaux leur port et leur physionomie. Presque tous les individus sont d’ailleurs d’espèces différentes, ou ombragent le promeneur sous les variétés d’une même espèce. Beaucoup d’essences viennent de l’Amérique du nord ; je remarque entre autres le pin embaumé (pinus balsamea), dont l’exhalaison aromatique justifie le nom.
Mais il faut quitter ces hauteurs, redescendre à la prose et parcourir la ville. Heidelberg, tant de fois ravagée, possède très-peu d’anciens monuments. Elle offrait jadis, au rapport des historiens, l’aspect le plus pittoresque. De tous les côtés on apercevait ses fortifications, avec leurs murs, leurs fossés, leurs tours, leurs bastions, leurs échauguettes ; dans l’intérieur se dressaient les pignons aigus des maisons, les clochers des églises et des monastères, les demeures crénelées des grandes familles. Le château électoral dominait toutes ces constructions de ses formes majestueuses. Maintenant le seul édifice original que l’on découvre en cheminant à travers les rues, c’est une ancienne maison qui fait face à l’église du Saint-Esprit, sur la place du Marché. Le style rappelle exactement celui du palais d’Othon-Henri. Elle se termine par un pignon et se compose de cinq étages, indépendamment du rez-de-chaussée.
Pas une seule église de Heidelberg ne mérite l’attention d’un connaisseur. La principale, construite sur la grande place et dédiée au Saint-Esprit, ne fait pas honneur à l’architecte. Quoique bâtie entre les années 1398 et 1408, les formes gothiques de la décadence y règnent sans partage et sans souvenirs d’une meilleure époque ; elle n’a même point les élégances recherchées du style flamboyant. Aucun tableau, d’ailleurs, pas la moindre sculpture. Une grande muraille qui sépare l’intérieur en deux moitiés, l’une où on célèbre l’office catholique, la seconde attribuée au culte protestant, est ce qu’elle renferme de plus curieux.
Sur la première pente de la montagne, on bâtit une église neuve, pour laquelle Notre-Dame de Fribourg sert de type : le modèle est charmant, à n’en pas douter ; mais si élégante qu’on la suppose, la copie n’aura jamais la valeur d’une production originale. Comme architecture nouvelle, ce qu’il y a de plus intéressant à Heidelberg, ce sont les demeures élégantes que l’on construit près de la station du chemin de fer : leurs formes coquettes, leurs grilles, leurs petits jardins font naître l’envie de s’y établir, avec un nombre suffisant de bil-