dont le contrôle s’exerçait régulièrement, sur ces étranges auxiliaires, par des appels hebdomadaires.
Bougie n’a du côté de la terre qu’un débouché : la route de Sétif, c’est trop peu : Bougie n’acquerra l’importance à laquelle elle a droit par sa position exceptionnelle, qu’au moyen de voies et de communications faciles et nombreuses. C’est alors seulement qu’elle deviendra, bien plus qu’aujourd’hui, le débouché principal des céréales, des huiles et des fruits de la Kabylie. Jusqu’à présent, son plus considérable revenu a été la cire ; encore la domination musulmane a-t-elle paralysé ce commerce pendant très-longtemps.
À quelques kilomètres du cap Carbon, s’élève, du sein de la Méditerranée et non loin de la côte, un rocher d’environ cinq cents mètres de longueur. Son sommet, aride et nu, forme un plateau légèrement incliné vers l’ouest ; ses flancs seuls sont mouchetés d’une maigre végétation. C’est l’îlot de Djeribia, auquel les Arabes, qui remplacent toujours l’histoire par la légende, ont rattaché la tradition de la grandeur et de la décadence de Bougie. Nous en empruntons la substance à une intéressante monographie de cette ville due à M. Féraud, interprète de l’armée française.
« Moula-en-Naceur, le fondateur de Bougie, emmena
un jour dans une promenade au milieu du golfe, Sidi-Mohammed-el-Touati,
un saint personnage qui vivait
dans l’ascétisme le plus absolu. « Admire, lui dit-il, les
progrès de mon entreprise et la splendeur dont brille
aujourd’hui Bougie… » Sidi-Touati blâma son ambition
et sa passion aveugle pour le luxe et la manie des
créations. « Tu oublies, disait-il, l’instabilité des choses
humaines ; apprends donc que les monuments que tu
Col de Tirourda. — Dessin du commandant Duhousset.
t’obstines à élever à grands frais tomberont en ruine,
seront réduits en poussière ; et la renommée que tu
espères fonder sur leur durée, s’écroulera comme
eux, avant le temps. » Moula-en-Naceur paraissant
sourd à toute exhortation, le marabout ôte son burnous, le
déploie devant le sultan, lui cachant ainsi la vue de Bougie.
À travers ce rideau improvisé et devenu transparent,
En-Naceur aperçut la Bougie des temps modernes,
ruinée et presque inhabitée. En-Naceur, vivement impressionné
et comme frappé d’aliénation mentale, renonça
aux honneurs, abdiqua en faveur de son fils
Moula-el-Aziz, et, à quelque temps de là, disparut une
nuit. On fit pendant quatre ans les recherches les plus
minutieuses pour découvrir sa retraite. Enfin une barque
de pêcheurs aborda un jour, par hasard, l’îlot de
Djeribia (l’île Pisan) au nord de Gouraïa. Les marins
bougiotes trouvèrent sur ce rocher un anachorète presque
nu et réduit à un état prodigieux de maigreur :
c’était Moula-en-Naceur. Comment avait-il vécu pendant
quatre ans sur ce roc aride et solitaire ? C’est ce
que la légende explique en ajoutant que chaque fois
qu’En-Naceur plongeait la main dans la mer, un poisson
venait s’attacher à chacun de ses doigts. Moula-el-Aziz
et tous les grands de son empire se rendirent à
l’îlot de Djeribia pour ramener le sultan fugitif. En-Naceur,
inébranlable dans sa résolution, persista dans
son isolement et mourut sur son rocher. »
(La fin à la prochaine livraison.)