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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/305

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un détail de mœurs locales. Là j’ai dû prendre part à un repas mortuaire, dans la maison même du défunt, pendant que les femmes faisaient chauffer l’eau destinée à la dernière ablution de sa dépouille avant de la rendre à la terre.

Plus près de moi, en suivant toujours la crête des Beni-Raten, se trouvait Ichériden, de glorieuse mémoire pour nos armes ; puis le fort Napoléon qui se détachait imposant et blanchâtre : depuis plusieurs mois, j’ai parcouru, autour de ce point central, une circonférence d’un rayon assez étendu ; de bien loin, aujourd’hui, ma lorgnette me permet de retrouver avec un certain plaisir son site imposant et ses remparts, garantie d’ordre et de paix, encore plus que menace permanente pour les Kabyles.

Mon guide ne connaissait pas le chemin : nous allions donc à l’aventure, par un terrain accidenté, qui me montrait de temps en temps la première halte espérée, dans un lointain violacé peu rassurant. Enfin, vers une heure, chauffé à blanc et l’estomac creux, je descendis un instant sous le premier ombrage qui m’indiquait un peu d’eau. De là, je voyais l’endroit où je devais m’arrêter et dont j’étais encore séparé par deux heures de marche environ. J’avais rencontré peu de villages dans ce parcours, mais toujours des enfants blonds et des femmes très-sales. Le seul homme qui eût paru sur tout ce trajet était un cavalier qui nous portait, à Zeffoun, un ravitaillement de pain et de légumes. Il s’était égaré. Je le remis sur son chemin, en lui faisant
Poteries et ustensiles kabiles. — Dessin de Stop d’après le commandant Duhousset.
tourner le dos à la route, et lui indiquant la plaine au lieu de la mer ; malheureusement il ne put, en échange, me renseigner sur la route que je suivais, n’étant jamais venu de ce côté.

Mon déjeuner fut très-frugal : la chair du poulet semblait avoir été tissée avec de la filasse, je le donnai à mon troupier avec lequel je partageai mon pain, dont je me réservai seulement un morceau que je trempai dans un peu de vin sucré, et je me tins pour satisfait de ce repas d’ermite, car je n’en étais pas à mes essais de sobriété en voyage.

Quant au spahis, je lui avais recommandé la veille de se munir dans la diffa de viande et de galette, de manière que je n’eusse pas à m’occuper de lui ; mais il est souvent très-diffcile de se faire obéir de ses inférieurs, même dans leur propre intérêt : celui-ci ne m’avait point écouté, de sorte qu’il fut obligé de se contenter d’un très-petit morceau de galette, assaisonné d’un oignon qu’il trouva au fond de sa poche. Pour dernière ressource, les muletiers tirèrent quatre ou cinq figues de je ne sais où, et cela leur suffit. J’avais heureusement fait mettre de côté une outre remplie d’orge pour nos bêtes, qui furent ainsi mieux traitées que nous tous. Je m’en réjouis pour elles, et depuis quelques heures, bien persuadé que je n’arriverais pas le jour même à Dellys, je remis au hasard le soin de mon dîner et le choix du gîte où je pourrais passer la nuit. Comme je n’y pouvais rien faire, je pris le parti de ne m’en pas tourmenter ; j’étais venu pour voir les ruines, je ne m’inquiétai pas d’autre chose. Mais il y avait huit heures déjà