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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/312

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s’abaissent à composer un genre de vers alors en usage à Candaya, et qu’on appelait des seguidillas « C’était, ajoute-t-il, le bouleversement des âmes, le transport du rire, l’agitation des corps, et finalement le ravissement de tous Les sens. »

Le mot seguidillas, on le voit, servait donc anciennement, comme aujourd’hui, à désigner à la fois un certain genre de poésies populaires et une danse nationale. Quelques personnes ont prétendu, comme on l’a vu précédemment, que cette danse fut exécutée pour la première fois dans la Manche vers les premières années du siècle dernier : cela ne peut s’entendre, sans doute, que du pas tel qu’il se danse aujourd’hui. En effet, outre le témoignage de Cervantès, on peut citer celui d’un auteur andalou bien connu, Mateo Aleman, qui écrivait à la fin du seizième siècle son fameux roman picaresque : Vida y hechos del picaro Guzman de Alfarache[1]. « … Les édifices, les machines de guerre se renouvellent chaque jour…, les chaises, les armoires, les cabinets, les tables, les lampes, les chandeliers changent aussi, et il en est de même des jeux, des danses, de la musique et des chansons, car les seguidillas ont remplacé la sarabande, et feront place elles-mêmes à d’autres danses, qui disparaîtront à leur tour. »

Un écrivain dont le nom fait autorité en cette matière, M. Soriano Fuertes, auteur d’une excellente histoire de la Musique espagnole[2], et l’un des compositeurs les plus populaires de la Péninsule, pense que les seguidillas peuvent être considérées comme les plus anciennes des danses d’Espagne, si l’on excepte cependant les Bailes en corro (danses en rond) et la Danza prima, encore en usage dans les Asturies. Notre savant ami, qui a bien voulu nous communiquer des notes très-intéressantes sur le sujet qui nous occupe, pense qu’il n’est pas en Espagne de poésie ni de danse populaire plus caractéristique que les seguidillas. Une grande variété dans les figures, une grâce modeste et beaucoup d’entrain sans licence, font de ce pas un divertissement populaire des plus honnêtes et des plus gais à la fois, et qui contraste d’une manière remarquable avec le laisser-aller quelquefois exagéré des danses andalouses.

Ceux qui ont plusieurs fois parcouru l’Espagne ont pu remarquer qu’il n’est guère de contrées où cette danse ne se soit localisée : ainsi l’Andalousie possède plusieurs genres de seguidillas, ou de siguiriyas, suivant la prononciation locale ; ces danses prennent, suivant quelques légères modifications locales, les noms de gitanas, mollares et sevillanas. La Galice a les seguidillas gallegas ; dans la province de Santander on les appelle pasiegas, et dans les provinces basques, guipuzcoanas ; il y a encore les seguidillas zamoranas, aragonesas, valencianas, etc.

La danse, proprement dite, ne varie guère d’une province à l’autre, seulement elle reflète ordinairement le caractère des habitants, qui l’accompagnent avec les chansons et les mélodies locales les plus populaires. Aussi nous avons souvent remarqué que les Andalous dansent leurs seguidillas sur un mouvement extrêmement vif, et que leurs coplas de baile sont plus souvent gaies que sentimentales ; témoin ce quatrain, où le chanteur affirme que pour briller à la danse, un garçon ne doit pas oublier ses mollets à la maison :

El mocito que baila
    Las seguidillas
No ba dejado en casa
    Las pantorillas !

Les Andalous sont tellement passionnés pour les seguidillas boleras, qu’ils aiment à les représenter de toutes manières ; par exemple, elles font souvent l’ornement de ces éventails à deux cuartos qui se vendent aux environs de la plaza, les jours de taureaux, et qu’on appelle abanicos de calaña ; souvent aussi on voit la danse favorite naïvement barbouillée par quelque Murillo de village, se détacher en couleurs éclatantes sur le fond jaune-serin de la caisse d’une calesa ; il est rare que les tambours de basque ne soient pas ornés de sujets de ce genre : plus d’une fois ces amusants bariolages nous ont rappelé quelques vers d’un poëte espagnol qui décrit ainsi Les peintures populaires de l’Andalousie :


No ha de faltar zandunguera
    Puesta en jarras una dama,
    De las que la liga enseñan ;
      O un torero echando suertes,
    O un gaché con su vihuela,
    Y una pareja bailando
      Las seguidillas boleras.

« On est sûr d’y voir une femme à la gracieuse désinvolture, les mains posées sur les hanches ; une de celles qui ne craignent pas de laisser entrevoir leur jarretière ;

« Ou un torero combattant son adversaire ; ou bien encore un Andalou grattant sa guitare, à côté d’un couple qu danse les seguidillas boleras. »

Cette danse, dit un auteur du pays, peut être regardée comme le type qui a servi de modèle à presque tous les autres pas nationaux, et mérite d’être célébrée par tous les Espagnols que leur engouement pour l’étranger n’aveugle pas : en la décrivant, on donnerait en même temps une idée approximative du bolero, du fandango et de plusieurs autres pas populaires ; mais la plume ne peut rendre qu’imparfaitement ces poses gracieuses, ces charmantes mélodies, enfin le mouvement et l’expression qui sont l’essence même de cette danse enchanteresse.

La poésie des seguidillas est d’une grande simplicité : chaque couplet se compose de sept vers, tantôt de cinq syllabes, tantôt de six, et se divise en deux parties : la copla, ou couplet proprement dit, qui comprend les quatre premiers vers, et l’estribillo, ou refrain, composé des trois derniers, qui complètent le sens de la copla. Le second vers rime avec le quatrième, et le cin-

  1. « La vie et les faits du Fripon Guzman d’Alfarache. » La première édition parut à Séville en 1599.
  2. Historia de la Musica española. Barcelone, 1855-59, 4 vol. in-8o.