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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/320

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los mancebos à sus queridas novias, c’est-à-dire des couplets pour les jeunes gens qui veulent chanter à la manière des étudiants, sous les fenêtres de leurs fiancées. La fiancée y est comparée à une déesse, à un séraphin, à une rose précoce, à une fleur de mai, à un rossignol, à une fée ; sa bouche est une ruche pleine de miel, et ses yeux sont des astres qui dissipent la tristesse.

Quelquefois aussi, ces jotas appartiennent entièrement au genre grotesque, comme dans certaines Coplas pintando la fealdad de una muchacha ou Couplets où est dépeinte la laideur d’une muchacha. Cette muchacha, c’est une guisandera, cuisinière de bas étage, de celles qu’on appelle encore en Espagne des Maritornes.

Asomate á la ventana,
Cara de mona pelada,
Con la cara de mortero
Y la langua embarazada.

« Parais à ta fenêtre, — Face de guenon pelée, — Avec ta tête aussi grosse qu’un mortier, — Et ta langue embarrassée. »

Son tus brazos tan hermosos,
Que parcecen dos morcillas,
De aquellas que están colgadas
Al invierno en las cocinas.

« Tes bras sont si beaux — Qu’ils ressemblent à deux saucisses, — De celles que l’on voit pendues — L’hiver, dans les cuisines. »

Se levanta de mañana,
Y pega con el dios Baco,
Luego escupe á las cazuelas
Las natillas del tabaco.

« Elle se lève de bonne heure, — Et rivalise avec le dieu Bacchus ; — Puis elle secoue dans les casseroles — Le tabac qui s’échappe de ses narines. »

Qu’on nous pardonne la trivialité de ces citations ; elles étaient nécessaires pour donner l’idée d’un genre de compositions très-grossières assurément, mais qui ont leur place marquée dans la plupart des réjouissances populaires, et qui ne manquent jamais de provoquer les bruyants éclats de rire des paysans aragonais, surtout quand elles accompagnent une Jota dansée avec entrain ; ou bien encore quand elles sont chantées par une joyeuse bande d’étudiants nomades, — Estudiantes de tuna.

La Jota valenciana diffère peu de celle des Aragonais ; les Valenciens, aussi bien que les Catalans, se sont de tout temps montrés passionnés pour la danse ; dès le septième siècle, assure-t-on, on exécutait des danses publiques à Tarragone, quand l’archevêque faisait son entrée dans la ville. M. Soriano Fuertes raconte, dans son Historia de la Musica española, une curieuse anecdote qui remonte au treizième siècle.

Au commencement du règne de Pierre III d’Aragon, eut lieu à Valence une émeute dirigée par un barbier de la ville, nommé Gonzalvo. Le roi, pour éviter les premiers chocs de l’insurrection, sortit de la ville, et s’établit à peu de distance des murs. Le barbier, à la tête de quatre cents émeutiers choisis parmi les plus hardis, eut l’audace de se rendre au camp de son souverain, et il se mit à exécuter devant lui, avec ses compagnons, au son des trompettes et des tambours, une danse militaire accompagnée de chansons ironiques.

Gonzalvo ne s’en tint pas là : non-seulement les dames et les chevaliers de la cour, mais le roi et la reine furent contraints par lui à prendre part à la danse des rebelles ; et il osa même chanter devant le roi des couplets en langue limousine, dont le refrain était :

Mal aja qui sen yra,
En cara ni en cara, etc.

« Malheur à qui s’en ira, maintenant ou plus tard. »

Pierre III, qui n’avait pas avec lui des forces suffisantes pour résister aux insurgés, dévora l’affront en silence ; mais quelque temps après, ayant fait arrêter Gonzalvo :

« Te souviens-tu, danseur, chanteur et poëte, du pas que tu as exécuté devant moi, et de ton refrain : Mal aja qui sen yra… ? J’avais alors mes raisons pour ne pas te répondre, mais je veux maintenant continuer ta chanson : » et le roi acheva le couplet en ordonnant au barbier d’aller danser en haut de la potence.

On raconte qu’en 1762, à l’occasion des grandes fêtes qui eurent lieu à Lérida quand on posa la première pierre de la cathédrale, on fit venir de Valence des danseurs qui obtinrent de grands succès ; quelques années plus tard, en 1777, une troupe de danseurs valenciens vint se fixer à Paris, et y excita une vive curiosité. Aujourd’hui encore la Jota valenciana, dansée par des bailarines portant le costume populaire du royaume de Valence, figure souvent au théâtre, parmi les divers pas qui composent le Baile nacional. Mais c’est à un retour de chasse sur les bords du lac d’Albuféra, qu’il faut voir, par une belle soirée d’octobre, ces danses exécutées avec leur vrai caractère : les chasseurs, dont une longue expédition en bateau a ménagé les jarrets, se livrent, après une copieuse merienda servie sur l’herbe, aux fatigants exercices d’une Jota prolongée. Les couples se succèdent sans interruption, au son de la guitare, de la bandurria et de la dulzayna moresque. Jamais nous n’avons eu l’occasion d’observer avec plus de plaisir que dans ces fêtes champêtres, la gaieté et l’agilité proverbiales des Valenciens.

Nous fûmes un jour témoins à Jijona d’une cérémonie funèbre dans laquelle, à notre grand étonnement, les assistants dansaient la Jota. Nous passions dans une rue déserte, quand nous entendîmes un fronfron de guitare accompagné du chant aigu de la bandurria et d’un cliquetis de castagnettes. Nous poussâmes la porte entr’ouverte d’une maison de cultivateurs, croyant tomber au milieu d’une noce : c’était un enterrement. Dans le fond de la pièce nous aperçûmes, étendue sur une table recouverte d’un tapis, une petite