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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/325

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arrêter les délinquants, ni assez de prisons pour les enfermer.

Le célèbre Jovellanos, dans son Mémoire sur les divertissements publics de l’Espagne, juge moins sévèrement les danses populaires des provinces basques : il admire au contraire l’ordre et la décence qui règnent dans ces modestes passe-temps des dimanches, où l’on voit un peuple tout entier, sans distinction d’âge ni de sexe, courir et sauter gaiement au son du tamboril. « C’est le devoir d’un juge intelligent de protéger le peuple dans ses innocents plaisirs, de le laisser préparer et orner l’emplacement de ses fêtes, et d’éloigner les gens turbulents, tout en protégeant ceux qui se livrent à une joie inoffensive… En somme, qu’il n’oublie jamais que le peuple qui travaille n’a pas besoin que l’autorité l’amuse, mais le laisse s’amuser. »

Les ouvrages imprimés en langue basque sont très-rares, et quelques amateurs de livres les recherchent avec empressement. Parmi ces amateurs, on peut citer un prince appartenant à la famille impériale, — un savant bibliophile, — qui s’est livré à des études approfondies sur cette langue intéressante. Nous reviendrons plus tard avec quelques détails sur ce sujet.

La danse basque a été enseignée dans des ouvrages didactiques : citons seulement l’ouvrage de D. Juan Ignacio de Iztueta, écrit en langue basque sous le titre de Guipuscoao dantza[1] ; c’est l’histoire des anciennes danses de la province de Guipuzcoa avec les airs et les paroles qui les accompagnent, et la manière dont elles s’exécutent.

Les danses de la Navarre sont, à peu de différence près, les mêmes que celles du pays basque, auquel cette province confine. C’est de la Navarre qu’était originaire, à ce qu’on assure, la célèbre danseuse chantée par Voltaire :

    Ah ! Camargo, que vous êtes brillante,
    Mais que Sallé, grands dieux, est ravissante !
Que vos pas sont légers, et que les siens sont doux !
Elle est inimitable, et vous toujours nouvelle ;
      Les Nymphes sautent comme vous,
      Et les Grâces dansent comme elle.

La Camargo appartenait à une famille d’ancienne noblesse qui a donné à l’Espagne un navigateur, Alonzo de Camargo, et au Saint-Siége plusieurs cardinaux. Saint-Simon consacre un passage de ses Mémoires à Don Juan de Camargo, « qui étoit Inquisiteur général ou Grand inquisiteur. Je n’ai jamais vu, dit-il, homme si maigre, ni de visage si affilé. Il ne manquoit point d’esprit ; il étoit doux et modeste. On eût beaucoup gagné que l’Inquisition eût été comme lui. »

Il ne faut pas oublier dans cette revue des danses espagnoles, les danseuses nomades qu’on rencontre dans toutes les provinces, et qui sont invariablement des gitanas ; ces bohémiennes au teint olivâtre, aux cheveux noirs et crépus passent, comme autrefois, pour avoir autant de dextérité dans les doigts que d’agilité dans les jambes. Plus d’une fois, en les voyant danser, nous avons pensé à cette légende d’une ancienne gravure française représentant une bohémienne :

Elle danse bien, la gaillarde,
Les menuets, les passepiez ;
Mais il faut toujours prendre garde
À ses mains, plus tost qu’à ses piedz !

N’oublions pas non plus les danses appelées Paloteos ou Paloteado, et qui sont encore en usage dans les campagnes. Le paloteado est une danse rustique ainsi nommée du mot palo, qui signifie bâton ; les enfants et les jeunes gens l’exécutent en tenant dans chaque main un petit bâton semblable à une baguette de tambour, qu’ils frappent en mesure l’un contre l’autre, et dont le bruit remplace le cliquetis des castagnettes. Ces paloteossoldadescas, tout à fait dans le génie d’une nation militaire et courageuse comme l’Espagne, sont un souvenir de la danza de espadas, et des danses militaires de ces vaillants Celtibériens, qui ne pleuraient leurs guerriers que lorsqu’ils étaient morts en combattant.

Disons, pour terminer, qu’il n’est pas une seule partie de l’Espagne qui n’ait sa danse favorite, pas une province dont l’air national ne fasse battre le cœur des habitants : le Gallego et l’Asturien sont aussi passionnés pour leur Muyñeira et leur Danza prima que l’Andalou pour sa Rondeña et le Manchego pour ses seguidillas. Le charro de Salamanque et le zángano de Valladolid tressailleront toujours au son du pandero et des castagnettes, et aucun Murcien ne restera froid en présence de ses Torrás et de ses Parrandas. En un mot, la passion de la danse est dans le sang des Espagnols, aussi bien que celle des combats de taureaux, et ils aimeraient mieux, comme dit le quatrain populaire, retomber sous la domination des Mores que de renoncer à leurs Corridas et à leurs Olés !

Antes volvieranse Moros
Toditos los Españoles,
Que renunciar á sus Olés
Y a sus Corridas de toros !

Nous avons donné dans notre récit une grande importance aux danses nationales de l’Espagne. C’est là, en effet, un des côtés saisissants du pays. Nous n’oublierons jamais la vive impression que nous fit, à notre premier voyage d’Espagne, une danse populaire improvisée. Après un trajet pénible entre Bayonne et Madrid (on ne mettait pas moins de trois jours et trois nuits en diligence), nous étions enfin arrivés à Tolède. Là seulement, l’Espagne de nos rêves nous était apparue, l’Espagne du moyen âge avec ses souvenirs gothiques et moresques, que n’avait pu nous rappeler Madrid, cette parvenue du dix-septième siècle. Nous étions installés à la Fonda del Lino, alors la meilleure auberge de Tolède, ce qui veut dire la moins mauvaise ; après un maigre

  1. Donastian (Saint-Sébastien), 1824, in-4o. — On a du même auteur : Euscaldun anciña anciñaco, Saint-Sébastien, 1826, in-folio, avec titre gravé et musique. C’est un recueil des anciens airs avec lesquels les Vizcainos accompagnent leurs danses.