Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 16.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lonne surmontée d’une statue dorée représentant saint Paul : c’est ce qu’on appelle el Triunfo. Suivant une tradition assez contestable, l’apôtre aurait séjourné à Ecija, et y aurait converti son hôtesse, qui figure parmi les Santos de Ecija sous le nom de sainte Xantippe.

Un souvenir moins ancien et plus profane, c’est celui de ces fameux bandits, longtemps la terreur de l’Andalousie, los sicte niños de Ecijá, les sept gars dont nous avons raconté l’histoire. Les exploits des sept bandoleros andalous ont déjà pris place dans les légendes populaires à côté de ceux du Cid campeador, toute comparaison à part entre les deux héros, bien entendu.

Peu de temps après avoir quitté Ecija, comme nous venions de descendre de notre véhicule pour monter à pied une petite côte, nous fûmes abordés à un détour du chemin par un grand gaillard à l’aspect étrange et au costume passablement déguenillé : sa tête, enveloppée dans une espèce de capuchon était abritée par un vieux chapeau de feutre noir ; un manteau de drap gris à carreaux couvrait ses épaules, chargées en outre d’une de ces besaces dont les Espagnols se servent souvent en voyage pour porter leurs provisions, et qu’ils appellent alforjas. Il tenait à la main droite un long bâton, et à la main gauche un petit tableau représentant une madone très-grossièrement peinte, et auquel était appliquée une petite boîte carrée ouverte par le haut, comme un tronc ou une tire-lire. Ce singulier personnage s’approcha de nous avec force révérences, et nous présenta son tableau en murmurant avec une volubilité extraordinaire des paroles inintelligibles ; cependant il nous fut facile de reconnaitre à l’accent de sa voix qu’il récitait des prières tout en nous demandant l’aumône.

« C’est un Santero, nous dit en riant le mayoral de la diligence, qui cheminait à côté de nous ; vous savez ce que dit notre proverbe : El que pide por Dios, pide para dos, — Celui qui demande pour Dieu, demande pour deux. »

Le Santero, qu’on appelle également DemandaDemandador, parce qu’il passe sa vie à demander, est un type des plus curieux, qui appartient presque exclusivement à l’Andalousie. En réalité, ce n’est qu’un mendiant à peine déguisé, qui abuse de la crédulité des gens naïfs, en leur faisant croire que ce n’est pas pour lui qu’il quête, mais pour le saint représenté sur sa demanda, — c’est ainsi qu’on nomme la tirelire où il encaisse les recettes.

Chaque Santero se met sous la protection d’un saint particulier : ainsi celui qui demande pour san Blas (saint Blaise), vend des petits rubans de soie qui ont été attachés au cou de la statue du saint ; ces rubans sont infaillibles, assure-t-il, contre les maux de gorge, car c’est toujours san Blas qu’on invoque pour les maladies de ce genre.

Le Santero de san Antonio Abad distribue aux habitants des campagnes des clochettes de métal qui ont la propriété de mettre les bestiaux à l’abri des épidémies ; celui de saint Lazare possède une recette infaillible pour mettre les démons en fuite. Un autre préserve des voleurs, un autre de la foudre et de la grêle. C’est ainsi que la demanda se remplit petit à petit de cuartos ; il n’est pas besoin d’ajouter que lesdits cuartos ne prennent jamais le chemin d’une chapelle ou d’un ermitage, car c’est pour lui et pour lui seulement que demande le Santero. « Voulez-vous savoir, dit un écrivain andalou, don José-Maria Tenorio, à quoi les Santeros emploient le temps pendant lequel ils ne quêtent pas ? Leur principale occupation est d’aller à la taberna. C’est là l’ermitage où ils vont adorer le dieu Bacchus, pour qui ils professent un culte véritable. Ils demandent toujours du meilleur et du plus vieux, et ils ont bien raison, car le dieu de la vigne leur donne les forces dont ils ont besoin pour parcourir les villes et les campagnes, ainsi que l’éloquence nécessaire pour persuader ceux qui veulent bien les écouter. »

Il y a une quarantaine d’années, avant la suppression des couvents, ces Santeros étaient, dit-on, beaucoup plus nombreux en Andalousie ; ils ne craignaient pas alors de se déguiser en moines, à l’aide d’une barbe postiche, d’un froc et d’un capuchon ; ils parcouraient ainsi les villages, prêchant la pénitence et la mortification, mais se gardant bien de prêcher d’exemple. Parfois cependant, il s’en rencontrait qui prenaient leur métier au sérieux et qui montraient plus de désintéressement : non contents de demander la charité, ils prétendaient obliger les passants à baiser leurs saints et leurs madones. Un voyageur du siècle dernier, anglais et protestant, fut très-choqué de la conduite de ces Santeros. « On ne doit rien leur donner, dit-il, à moins qu’on ne se propose de baiser leurs images, du crédit et de la vertu desquelles ils sont plus jaloux que des ocharos et des cuartillos. En leur donnant de bonnes paroles au lieu d’argent, ils vous laisseront en repos ; mais en leur faisant l’aumône et en refusant de baiser ce qu’ils présentent, on est sûr de s’attirer des injures de leur part, quelque considérable que soit l’argent qu’on leur donne. »

Un des écrivains les plus distingués de l’Espagne à notre époque, Don Eug. Hartzenbusch, a très-bien dépeint, dans une fable intitulée : El Santero, le caractère le ces mendiants nomades :

A cierta romeria
Sobre una mula docil,
Iba en Andalucia un picaro santero,
Que de cada espolazo
Al animal sacabale un pedazo,
Y mientras cariñoso le decia :
Corra, que tu cachaza me atribula,
Corra, por caridad, hermana mula.

    Faz de paloma, corazon de arpiá ;
Palabras de angel, obras de demonio,
Tal es, sin levantarle testimonio
La perfida, la vil hypocresia.

« Un Santero fripon, monté sur une mule docile, se rendait à certaine foire d’Andalousie ; de chaque coup d’éperon