il arrachait un morceau de la peau de la bête, tout en lui disant d’un ton patelin : Marche, ta lenteur me fait mourir, marche, par charité, mule ma mie.
« Tête de colombe, cœur de harpie ; paroles d’ange ; actions de démon, telle est, si je ne m’abuse, la perfide, la vile hypocrisie. »
Nous reprîmes à la station de Palma le train qui devait nous conduire à Cordoue. La petite ville de Palma, dont les maisons s’élèvent au milieu d’épais bosquets d’orangers et de grenadiers, occupe une position charmante dans l’angle formé par le Guadalquivir et le Genil ; car la poétique rivière qui arrose, à côté du Darro, l’Alameda de Grenade, vient mêler près de Palma ses eaux à celles de la grande rivière des Arabes.
La voie continue à suivre, presque sans détours, la rive droite du Guadalquivir ; les vastes plaines qui s’étendent à l’horizon sont couvertes de palmitos ou palmiers nains, c’est-à-dire presque incultes ; car les racines de cette plante sont tellement tenaces et si difficiles à extirper, que les agriculteurs ne parviennent qu’avec la plus grande difficulté à défricher les terrains
Santero andalou (environs d’Ecija). — Dessin de Gustave Doré.
qui en sont infestés. Avant l’achèvement du chemin de fer, les diligences qui faisaient le trajet entre Séville et Cordoue traversaient ces solitudes désolées ; souvent la poussière y était tellement épaisse, que les roues des voitures enfonçaient presque jusqu’au moyeu et nous nous souvenons que plus d’une fois dix ou douze mules vigoureuses eurent peine, malgré les cris, les coups de bâton et les pierres du zagal, à faire sortir notre véhicule de cet océan de sable. Il fallait alors un jour et une nuit pour aller de Séville à Cordoue, trajet que nous fîmes en chemin de fer en moins de cinq heures.
Peu de temps après avoir quitté la station de Palma, nous aperçûmes sur notre gauche un énorme rocher à pic surmonté d’une haute tour carrée s’élevant au-dessus d’une forteresse du moyen âge ; on eût dit un des vieux burgs qui dominent le Rhin, transporté sur les bords du Guadalquivir. C’était l’ancien castillo arabe d’Almodovar del rio, poste avancé de Cordoue, et dont le nom sonore convient on ne peut mieux à une ruine aussi pittoresque. Suivant la tradition populaire, c’est dans le château d’Almodovar que el rey don Pedro — c’est de Pierre le Cruel qu’il s’agit — cachait ses trésors, lorsqu’il partait pour ses expéditions guerrières.
Une demi-heure après, le train s’arrêtait dans une gare de chemin de fer qui ressemblait à toutes les gares possibles, et les employés criaient : Cordoba ! Cordoba !
C’est ainsi que nous fmes notre entrée dans la glorieuse Cordoue, l’ancienne capitale des Khalifes d’Occident.
(La suite à la prochaine livraison.)