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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/364

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richesses considérables, et d’après ses volontés, toute sa fortune devait être employée au rachat des musulmans prisonniers chez les infidèles ; on fit des recherches par toute la chrétienté, mais elles furent sans résultat : il ne fut pas possible de découvrir un seul captif. La sultane Az-Zarah, la nouvelle favorite du khalife, lui demanda alors d’employer cet argent à faire bâtir dans la campagne de Cordoue un palais splendide, auquel elle donnerait son nom.

Les récits que font les historiens arabes du luxe et des merveilles du palais d’Az-Zarah rappellent les contes des Mille et une Nuits. Au nombre de ces merveilles, ils citent d’abord le parquet, qui était composé de marbres transparents et de morceaux d’or massif ; parmi les portes, on en comptait huit en ivoire et en ébène, avec des incrustations de pierres précieuses. La richesse des colonnes était telle, qu’on prétendait qu’elles n’avaient pu être faites que par la main de Dieu même. Le palais était entièrement couvert en tuiles d’or et d’argent pur. Au milieu d’une des salles, on remarquait un grand bassin rempli de mercure ; et lorsque les rayons du soleil venaient éclairer ce métal, les yeux des spectateurs en étaient éblouis.

Un autre objet qui n’attirait pas moins l’attention, c’était une grande fontaine de bronze doré, véritable merveille d’art qu’on avait fait venir, à grands frais, de Constantinople. Cette fontaine était supportée par douze figures en or rouge, incrustées de perles et de pierres précieuses, et représentant divers animaux, tels que des crocodiles, des aigles, des dragons, des antilopes, etc. On citait encore parmi les curiosités du palais d’Az-Zarah, une cour circulaire, autour de laquelle s’élevaient trois cent soixante-cinq arcades disposées de la manière la plus ingénieuse. Chaque jour de l’année, le soleil, depuis l’heure où il se levait, passait successivement sous chacune de ces arcades jusqu’à ce qu’il les eût traversées toutes ; et en descendant, il accomplissait le même parcours en sens inverse.

J’ai entendu dire, écrivait un autre auteur, que les cités de Cordoue et d’Az-Zarah réunies occupaient un espace dont la longueur mesurait dix milles, et que la nuit on pouvait parcourir toute cette distance à la lueur d’une immense quantité de lampes placées très-près les unes des autres. D’après un ancien dicton, Cordoue surpassait toutes les autres villes en quatre choses : les sciences qu’on y cultivait, — sa grande mosquée, — son pont sur le Guadalquivir et la cité d’Az-Zarah.

L’histoire des dynasties mahométanes d’Espagne, de Mohammed Al-Makkari, dont le savant Gayangos a donné une excellente traduction, contient encore d’autres détails non moins surprenants sur la riche villa d’Az-Zaráh. Ce n’était pas, du reste, la seule qui égayât les environs de Cordoue ; outre celles des khalifes, on en remarquait aussi qui appartenaient à de riches particuliers. Beaucoup de ces villas portaient des noms poétiques et charmants : ainsi il y avait le palais des Fleurs, celui du Diadème, celui des Bienheureux, des Amants, etc. Un autre, dont on vantait les riches colonnes de marbre et les mosaïques précieuses, avait reçu le nom de Dimashk, en souvenir de la ville de Damas.

Le palais de Rizzáfah, qui appartenait aux khalifes, passait également pour un des plus beaux des environs de Cordoue ; Abdérame Ier, qui le fit élever en 756, y avait réuni tout le luxe de l’Orient, et les jardins qu’il y avait fait planter donnaient l’idée du paradis. On assure qu’il fit venir de Syrie les fleurs les plus rares ainsi que plusieurs arbres jusqu’alors inconnus en Espagne, notamment des grenadiers et des palmiers. Les khalifes, ses successeurs, embellirent encore ces séjours délicieux, où il semble qu’on devait jouir de tout le bonheur imaginable ; on cite cependant l’un d’eux, Abdérame III, émir-al-mumenin, le prince des croyants, qui laissa après sa mort ces lignes tracées de sa main :

« Cinquante ans se sont écoulés depuis que je suis khalife de Cordoue : richesses, honneurs, plaisirs, j’ai joui de tout, j’ai tout épuisé. Les rois, mes rivaux, m’estiment, me redoutent et m’envient ; tout ce que les hommes désirent m’a été prodigué par le ciel. Dans ce long espace d’apparente félicité, j’ai calculé le nombre de jours où je me suis trouvé véritablement heureux ; ce nombre se monte à quatorze ! Mortels, appréciez la grandeur, le monde et la vie !

La cité d’Azzaráh occupait l’emplacement connu aujourd’hui sous le nom de l’ancienne Cordoue : Cordoba la Vieja ; elle fut détruite de fond en comble au commencement du onzième siècle, ainsi que la Rizzáfah. De cette dernière villa, qui était située à deux lieues de Cordoue, le nom seul est resté : c’est aujourd’hui San-Francisco de la Arrizafa. Nous voulûmes visiter les lieux où s’élevaient jadis ces demeures enchantées, mais ce fut en vain que nous cherchâmes à en retrouver quelques vestiges ; il n’en existe pas plus de traces que des délicieuses villas qui embellissaient la campagne de Rome et Les environs de Naples, et on peut dire avec un poëte latin que les ruines mêmes ont péri.


Les sérénades en Andalousie. — Les Majos au balcon. — Le Novio et la Novia. — Les soupirs à la Reja. — Pelar la Para et Mascar hierro : Les Plumeurs de dinde et les Mangeurs de fer. — Les Serenatas, où Coplas de Ventana. — Les rivaux et la navaja. — Une sérénade au clair de lune. — Cobrar el piso.

Les habitants de Cordoue, sont particulièrement attachés à leurs anciennes croyances religieuses, et la vieille capitale musulmane est aujourd’hui des plus orthodoxes ; il faut pourtant dire que le sacré n’y fait pas tort au profane, car nulle part l’ancien et classique usage de la sérénade au balcon ne nous a paru mieux conservé. On pourrait presque dire que Cordoue, silencieuse et pour ainsi dire morte pendant le jour, ne semble se réveiller un peu que la nuit.

L’antique sérénade, qui est regardée chez nous comme une plaisanterie surannée et bonne tout au plus pour l’opéra-comique, semble s’être réfugiée en Espagne, et particulièrement en Andalousie, où la guitare est encore prise au sérieux. Que ferait un homme du Nord, dit un poëte espagnol, que ferait un Anglais, un Suédois, un