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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/365

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Danois, pour montrer à sa dame qu’il l’adore, et que pour elle il perd le sommeil ? Voyez-le : il frisera sa moustache, arrangera sur son front les mèches de ses cheveux, et exhalera une douzaine de soupirs, puis il ira tranquillement se coucher… Chez nous, quelle différence ! un majo, sa guitare à La main et son manteau sur l’épaule, restera jusqu’à l’aurore au pied d’un balcon, sans craindre les dangers ni l’intempérie, et sa dame ne sera pas contente de lui s’il n’a fait le guet toute la nuit !

Mais en revanche, quand le majo soupirera pour une cruelle, il lui chantera quelques couplets comme celui-ci :

Si esta noche no sales
A la ventana,
Cuéntame entre los muertos
Desde mañana.

« Si cette nuit tu ne parais pas — À ta fenêtre, — Compte-moi au nombre des morts — À partir de demain matin. »

Ou bien encore si le sommeil a surpris le galant au milieu de sa faction nocturne il pourra s’écrier avec cette copla comique :

Debajó de tu ventana
Me dió el sueño y me dormi ;
Y me despertó tu gallo
Cantando quiquiriqui.

< Au-dessous de ta fenêtre, — surpris par le sommeil, je m’endormis, — Et ton coq m’a réveillé — En chantant quiquiriqui. »

La sérénade n’est donc pas morte en Espagne, et plus d’une fois nous pûmes nous en convaincre en traversant la nuit les rues de Cordoue ; le climat y est si doux et si pur, les nuits y sont si calmes et si sereines, que rien ne semble plus naturel que de les passer à la belle étoile. C’est un usage général que le novio aille causer pendant la soirée ou la nuit avec sa novia, sa fiancée : seulement celle-ci est assise derrière la reja ou grille de fer dont les fenêtres basses sont invariablement garnies ; toutes les fois que le hasard nous rendait témoin d’un tête-à-tête nocturne de ce genre, nous entendions le couple murmurer quelques paroles à voix basse, et nous voyions le novio se cramponner d’une main tremblante au fer de la reja, comme dit Cervantès dans sa nouvelle du Celóso estremeño :

A los hierros de una reja
La turbada mano asida.

Ou bien encore, suivant l’expression d’un poëte espagnol, elle assise près du balcon, et lui sous le balcon :

Ella á la reja sentada,
Y al pié de la reja, él.

Cet exercice favori des fiancés espagnols est désigné par l’expression singulière de pelar la pava, qui signifie littéralement plumer la dinde, et les novios sont appelés peladores de pava, — des plumeurs de dinde. On n’est pas d’accord sur l’origine de cette expression plus pittoresque que poétique, qui signifie également bavarder pour passer le temps, et qu’en Andalousie plus particulièrement on applique aux fiancés qui font leur cour ; peut-être vient-elle de ce que l’attitude du soupirant, sa guitare ou sa mandoline à la main, offre quelque analogie avec celle d’une personne qui tiendrait une dinde de la main gauche, et qui la plumerait de la main droite ; cette opération, en effet, nécessite des mouvements répétés qui ne manquent pas de ressemblance avec ceux d’un guitarrero pinçant ou grattant les cordes de son instrument.

Les Andalous, dont l’idiome est si pittoresque et si rempli d’images, ont encore une autre expression qui peint à merveille l’attitude d’un homme dont la tête se penche vers les barreaux d’une fenêtre : c’est ce qu’ils appellent comer hierro, — manger du fer, ou mascar hierro, — mâcher du fer. Quelquefois, le pelador de pava s’évertue à tromper la vigilance d’une mère ; il se gardera bien alors de faire résonner un instrument qui pourrait le trahir, et d’accord avec la jeune fille, il saura même au besoin corrompre le chien de la maison : « Jette du pain au chien quand tu viendras me voir, dit la novia dans une chanson populaire, car ma mère a le sommeil aussi léger qu’un lièvre : »

Echale pan al perro,
Si vas á verme,
Porque tiene mi madre
Sueño de liebre.

Parmi les chansons populaires qui se vendent dans les rues, celles qu’on appelle serenatas ou coplas de ventana (couplets de fenêtre) occupent une des places les plus importantes ; voici quelques-unes de ces coplas, qui sont, pour ainsi dire, classiques parmi les novios andalous :

Cuerpo güeno !… Alma divina !…
Que de faitigas me cuestas !
Despierta, si estas dormia,
Y alivia, por Dios, mi pena !

« Beauté rare ! âme divine ! — Que de peines tu me coûtes ! — Réveille-toi, si tu es endormie, — Et adoucis, pour Dieu, mes chagrins ! »

Si mis suspiros llegan
A tu almohada,
Como caritativa.
Dales posada !

« Si mes soupirs parviennent — Jusqu’à ton oreiller, — Comme tu es charitable, — Donne-leur un asile ! »

La paloma está en la cama
Arropadita y caliente,
Y el palomo está en la esquina
Dandose diente con diente.

« La colombe est dans son lit, — Chaudement enveloppés dans les couvertures, — Et le pigeon attend au coin de la rue, — En faisant claquer ses dents contre ses dents. »

Il arrive quelquefois qu’un bruit de pas, qui se fait entendre dans le silence de la nuit, vienne interrompre le couple dans sa conversation : si c’est un rival, un se-