astronomes d’un instrument précieux, qui devait aider prodigieusement aux progrès de la science des astres. Dès 1610, Galilée découvrit les quatre lunes qui circulent autour de Jupiter, et son génie prévit dès lors de quel immense secours les fréquentes éclipses de ces petits astres pourraient être pour résoudre le problème des longitudes. Mais pour appliquer à cet usage les satellites de Jupiter, il fallait en dresser des tables exactes, et ces tables ne furent calculées qu’en 1666 par Dominique Cassini. Cette date est de celles qu’il faut inscrire en lettres d’or dans l’histoire de la géographie.
À partir de cette époque, Les entreprises les plus vastes, les plus hardies conceptions, les opérations les plus délicates, n’ont plus rien qui effraie la patience des géomètres ni la pensée des astronomes. L’heure était venue où l’audacieux problème de la mesure de le terre allait être embrassé dans toute sa grandeur et définitivement résolu. Picard, de l’Académie des sciences, est le premier qui ait appliqué à cette difficile opération l’exactitude absolue des méthodes d’observation et de calcul qui caractérise la géodésie moderne.
En 1669 et 1670, Picard mesura sur le sol, entre Paris et Amiens, un intervalle dont les points extrêmes furent déterminés rigoureusement par des observations astronomiques, et il y trouva pour la longueur d’un degré 57 060 toises, qui répondent à 111 212 mètres. Cette mesure, contrôlée depuis lors par les géomètres les plus éminents et les premiers astronomes de notre époque, a été trouvée exacte à une minime fraction près.
La belle opération de 1669 fut, en quelque sorte, l’œuvre de l’Académie des sciences en même temps que de Picard, car ce fut à l’instigation de cette illustre compagnie, dont Louis XIV, en 1666, venait de décréter la création sur la proposition de son ministre Colbert, que la mesure fut entreprise. L’Académie payait ainsi dignement sa bienvenue au roi et à la France.
V
Et ce beau travail ne fut lui-même que le point de départ d’une entreprise encore plus vaste. En 1683, dans l’année même qui suivit la mort de Picard, l’Académie décida que la ligne mesurée entre Paris et Amiens serait prolongée d’une part jusqu’à Dunkerque, de l’autre jusqu’à Perpignan et au pied des Pyrénées, afin que le méridien qui coupe la France dans sa plus grande longueur, — l’étendue est de huit degrés, — fût entièrement fixé par un ensemble d’opérations à la fois astronomiques et géodésiques. Cette tâche laborieuse fut confiée à Dominique Cassini et à Lahire ; elle ne fut complétement achevée qu’en 1718. Mais alors un réseau de triangles et de déterminations astronomiques s’appuya au méridien central du royaume, — ce qu’on a nommé par excellence la Méridienne, — et ce réseau fut un peu plus tard une excellente base pour les grands travaux géodésiques du dix-huitième siècle. D’autres déterminations fixaient dans le même temps la place exacte des points principaux du pourtour du royaume, tant sur les côtes qu’à l’intérieur, si bien qu’avant l’expiration du dix-septième siècle la France avait pris sur la carte sa véritable forme et ses vraies dimensions. Les anciens tracés se trouvèrent considérablement resserrés, ce qui fit dire à Louis XIV, en plaisantant, que Messieurs de l’Académie lui enlevaient une partie de ses États. Les bases astronomiques de la géographie de la France étaient fixées.
Il nous est permis, sans doute, d’insister sur la gloire de nos anciens travaux. Cette gloire est immense, et pendant longtemps elle fut sans partage ; car dans toutes les branches de la cartographie et des opérations géodésiques nous avons eu l’initiative. La mesure du degré terrestre exécutée par Picard et par les académiciens français de 1683, est la première qui ait donné la mesure exacte et certaine des dimensions du globe, et cette belle opération de la méridienne a depuis servi de modèle aux travaux analogues que les autres États de l’Europe ont successivement entrepris. C’est le géographe français Guillaume Delisle qui a porté la cognée dans l’édifice vermoulu de la géographie ptoléméenne, où la forme et les dimensions de notre continent étaient prodigieusement dénaturées, et qui, dans ses Mappemondes de 1700, donna le premier aux diverses parties du monde leurs proportions véritables, d’après les observations des astronomes et des missionnaires français du dix-septième siècle. Après Delisle, c’est notre illustre d’Anville qui pendant quarante ans tint en Europe le sceptre de la science, et qui éleva la composition critique, en même temps que le dessin des cartes, à un point que l’on n’a pas dépassé ; et enfin, dans le même temps, c’est à la France qu’appartient l’honneur d’avoir créé en Europe les cartes de grande topographie, comme elle avait créé la géodésie par les travaux de Picard, de Lahire et de Dominique Cassini.
Colbert, ce grand ministre dont l’administration a laissé des traces si profondes dans l’histoire économique de la France, avait demandé à l’Académie des sciences une description géométrique du royaume ; Cassini de Thury, directeur de l’Observatoire et petit-fils de Dominique, conçut alors l’idée de la carte à laquelle il a laissé son nom. C’est en 1744 qu’il en commença les premières opérations, et le travail ne fut terminé qu’en 1783. Pour apprécier toute l’importance de cette œuvre colossale et lui rendre pleine justice, il faut se rappeler qu’en remontant seulement de trente ans en arrière on n’aurait trouvé ni en France, ni dans aucun pays de l’Europe, une seule carte générale qui donnât une idée tant soit peu précise de la configuration du sol. Ce sera l’éternel honneur de ce grand monument non pas seulement d’avoir doté la France d’une carte dont il n’existait pas d’exemple dans le monde, mais aussi d’avoir été le point de départ, et l’on peut dire