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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/426

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le premier modèle, de tous les travaux analogues qui ont été depuis lors exécutés chez nous et chez les autres peuples.


VI

Cependant les campagnes du Consulat et des premières années de l’Empire avaient fait faire de notables progrès à la topographie militaire ; les méthodes et les instruments géodésiques avaient acquis, en outre, un plus haut degré de précision ; enfin, on pouvait regretter que dans la carte de Cassini l’expression des montagnes n’indiquât que très-imparfaitement les hauteurs relatives. Dès 1808, Napoléon avait songé à faire reprendre ce grand travail ; mais les événements ajournèrent jusqu’en 1818 la réalisation du plan qui avait été mis à l’étude. Triangulations, observations et calculs, tout a été refait à neuf ; la nouvelle carte, connue sous le nom de carte de l’état-major, est dans toutes ses parties un ouvrage tout nouveau. L’échelle, un peu plus grande que celle de la carte de Cassini (pour la mettre en harmonie avec le système métrique), est au 80 000e, c’est-à-dire qu’un mètre sur le papier représente 80 000 mètres sur le terrain, et qu’une lieue métrique de 4 000 mètres est représentée par cinq centimètres. La publication de la carte s’est poursuivie sans interruption depuis 1833 ; sur les 267 feuilles dont elle doit se composer, 234 sont terminées, et l’on compte que dans sept ou huit ans au plus l’œuvre sera complétement achevée.

Le département de la guerre en a fait figurer plusieurs feuilles à l’Exposition ; et quoique le système que l’on y a adopté pour l’exécution graphique, je veux dire l’éclairage du terrain par la lumière verticale, soit infiniment moins favorable que la lumière oblique à la saillie des reliefs et à l’effet d’ensemble, notre carte de l’état-major n’en est pas moins, au total, un magnifique monument de la science topographique. Néanmoins, si on veut juger, par un exemple tout à fait complet, de ce que la science géodésique peut produire en se maintenant dans les vraies conditions de l’art, nous signalerons l’admirable carte de Suisse en vingt-cinq feuilles du général Dufour, à l’échelle de 100 000e. Jamais la configuration d’un grand pays, et d’un pays aussi profondément accidenté, n’a été représentée d’une manière plus vraie, plus achevée, plus saisissante. Le jury a décerné à l’œuvre du général Dufour la première médaille d’or dans la classe des cartes ; elle aurait mérité d’être mentionnée tout spécialement dans le rapport général. Il est vrai que le rapport général n’a pas eu un mot pour les sciences géographiques ni pour aucune de leurs branches.

Tous les États de l’Europe, à l’exception de la Turquie et de l’Espagne, ont leur carte topographique terminée ou en cours d’exécution, et tous en ont envoyé quelque spécimen. On remarque surtout les belles feuilles sorties de l’établissement impérial de Vienne, celles des différents États du nord de l’Allemagne, et la carte de l’état-major néerlandais. Il faut rapprocher ces cartes de celles qui nous représentaient les mêmes pays il y a cent ans, pour juger à quel point le sentiment du beau a pénétré dans les représentations topographiques, et apprécier le progrès immense qui s’est accompli dans la grande cartographie de l’Europe.

On peut éprouver quelque étonnement qu’aucune œuvre analogue ne nous soit arrivée des États-Unis, ce pays utilitaire par excellence. C’est qu’en effet l’Union américaine n’a pas de travail de ce genre ; soit que la vaste étendue des territoires ait détourné de l’entreprendre, soit que l’action trop faible du gouvernement central n’ait pas suffi pour en donner l’impulsion. Quelques-uns des États, — pas tous, à beaucoup près, — ont des cartes provinciales à échelle moyenne, des cartes demi-topographiques entre lesquelles il n’y a aucune espèce d’unité ; et encore ces cartes, uniquement destinées aux services locaux, sont, pour la plupart, si peu répandues et si difficiles à réunir, que le gouvernement central lui-même n’en possède pas une suite complète. Quelques autres États américains, le Nicaragua, le Venezuela, le Pérou, le Chili, ont envoyé leurs cartes officielles, qui ne sont guère que des pierres d’attente. Ils n’ont jusqu’à présent que des ébauches de topographie, comme la plupart n’ont encore que des ébauches de gouvernement.

Les applications des cartes topographiques ou demi-topographiques aux besoins spéciaux de la science et de la grande industrie forment une section très-importante de l’exposition géographique. Telle est la grande carte forestière de la France, et la carte géologique de M. Élie de Beaumont. L’Allemagne, et en particulier l’Autriche, ont, sur une moins grande échelle, une foule de morceaux de ce genre. Une autre classe de cartes, qui mérite une mention particulière, renferme les cartes demi-topographiques dues pour la plupart à l’industrie particulière. Quelques-unes ont un caractère semi-officiel, telle que la carte de France en trente-deux feuilles (encore inachevée), réduite au quart de la carte de l’état-major (c’est-à-dire au 320 000e) par les dessinateurs du dépôt de la guerre. L’empire d’Autriche de Scheda (vingt feuilles au 576 000e), le sud-ouest de l’Allemagne par l’état-major impérial de Vienne (douze feuilles), le nord-ouest de l’Allemagne, par Liebenow (sept feuilles au 300 000e), la Turquie d’Europe de Handtke (vingt feuilles non terminées), et nombre d’autres morceaux de ce genre que je ne puis énumérer, tiennent une belle place dans la grande cartographie européenne. La carte de l’Allemagne de Reymann, en quatre cent cinq feuilles au 200 000e (dont une soixantaine sont encore à terminer), est le plus grand travail de ce genre que l’industrie particulière ait jamais entrepris.


VII

Il ne faut pas séparer les cartes marines des grandes cartes topographiques. Tandis que dans chaque État européen le corps des ingénieurs militaires travaille laborieusement sur le terrain à lever le territoire dans ses moindres détails, les grandes nations maritimes de l’Eu-