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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/45

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de plusieurs sanctuaires. Ce fut vers le soir, lorsque la pagode était presque déserte et qu’il n’y avait plus que des brahmes, qu’ils m’ont permis de pénétrer jusqu’au sanctuaire de Çiva.


II


La pagode de Chillambaran. — Son enceinte. — Ses portiques. — Statues des dieux. — Étang sacré. — Temple des Mille-Colonnes.

Après cette digression préliminaire arrivons au but indiqué par notre titre, à la Pagode de Chillambaran. J’extrais sa description de mes journaux tenus régulièrement pendant les campagnes de l’Artémise et de l’Archimède.

L’enceinte extérieure est formée par un mur de plus de dix mètres de haut ; épais à la base de trois mètres, il se rétrécit d’abord à la moitié et puis aux trois quarts de sa hauteur d’environ cinquante centimètres de chaque côté, de sorte qu’il n’a guère qu’un mètre d’épaisseur au sommet. Je le croyais entièrement en pierres de taille ; mais on me dit qu’il était en briques à l’intérieur. Il m’a paru en très-bon état. Je passai cependant près d’un de ses angles qui était endommagé ; c’était peut-être un vestige des tours rondes que dans son ouvrage sur l’Inde, intitulé Monuments de l’Indoustan, M. Langlès représente sur le plan de la pagode.

J’en ai dressé le plan (voy. p. 35) au moyen de deux promenades à pas comptés, faites dans les deux sens perpendiculaires, en notant les nombres toutes les fois que j’étais dans le plan d’une des faces d’un monument. Je pus rectifier ainsi les chiffres inscrits sur mes croquis dessinés du sommet de l’une des grandes portes, et je trouvai trois cent quatre-vingt-huit mètres pour les grands côtés et trois cent quarante pour les deux autres. M. Langlès donne quatre cent vingt-neuf et trois cent dix mètres. Malgré ces différences, on comprend l’étendue de cette enceinte, puisqu’elle a plus de huit encablures ou seize cents mètres de pourtour. Elle est entourée d’un chemin planté de beaux cocotiers. En se reportant au plan, on voit qu’elle n’est percée que par quatre ouvertures, qui m’ont paru dirigées vers les quatre points cardinaux. Celle de l’est est la seule qui soit surmontée des restes d’une de ces pyramides, qu’on m’a dit se nommer gombroon et qui forme le plus bel ornement des pagodes ; celle dont il s’agit est petite, en briques et presque en ruines. Les autres ouvertures ne sont à vrai dire que des interruptions du mur ; elles avaient été bouchées, excepté celle de l’ouest, lorsque les Européens ou les musulmans s’étaient fortifiés.

Vient ensuite une deuxième enceinte moins régulière et beaucoup moins élevée que la première ; elle est formée de belles pierres de taille là où elle est adossée à des galeries à un seul ou à deux étages, comme le plan l’indique. Ailleurs elle est en simples briques disposées en étages et en mauvais état dans plusieurs parties. La forme de cette enceinte est rectangulaire, excepté vers son angle nord-est qui s’allonge vers le nord. L’intervalle entre les deux murs ne renferme aucun édifice, il est rempli d’arbres et de cocotiers dont la belle verdure et le port élégant ajoutent à l’aspect des monuments et sert d’échelle de comparaison pour en apprécier la grandeur. Des murs peu élevés unissent les deux enceintes devant les portes et limitent le passage ; ils ont des longueurs différentes, car les deux enceintes sont loin d’être placées symétriquement l’une par rapport à l’autre. C’est à cette seconde muraille que se trouvent les grands gombroons.

Au moment où l’on quitte les allées de cocotiers, on se trouve en présence de ces énormes portes, monuments gigantesques dont rien ne donne l’idée en Europe et qui vus de près frappent autant d’admiration que lorsqu’en passant au large des bancs de Coleroon, on les suit des yeux pour régler sa route. Ceux de Chillambaran sont au nombre de quatre presque d’égale grandeur ; ils n’ont pas des positions respectives régulières, leur forme générale est un tronc de pyramide rectangulaire, reposant sur un grand parallélipipède en pierres de taille couvertes de sculptures ; tandis que toute la partie supérieure est en briques et ornée de moulures en stuc, disposées en sept étages. Le cahier sur lequel j’avais porté le nombre de marches de chaque étage et leur hauteur, ainsi que diverses dimensions, a été broyé dans un engrenage d’une machine à Porto-Novo ; de sorte que pour les dimensions, je dois recourir à l’ouvrage de M. Langlès, qui donne quarante-huit mètres de hauteur totale dont plus de dix mètres en pierres. La base a près de trente mètres dans un sens pour l’une des portes et vingt-six mètres pour les autres ; tandis que dans l’autre direction c’est seize et dix-huit mètres, c’est-à-dire cinq mille quatre cents mètres cubes ; la partie pyramidale a près de douze mille mètres, de sorte que le volume total serait au moins seize mille mètres cubes, s’il ne fallait en déduire le grand passage, les galeries et les voûtes intérieures. Il y a quelques différences entre les quatre portes, mais elles sont peu sensibles ; la plus grande est, je crois, celle de l’est et la plus petite celle du sud.

Ce qu’on peut nommer le soubassement a des côtés verticaux formant deux étages ou plutôt deux rangées séparées par des moulures et par des corniches ; le tout est couvert de sculptures bizarres que la photographie seule serait parvenue à reproduire assez rapidement. Dans le bas, chaque statue a une niche rectangulaire, mais jamais ronde au sommet : elle est assez profonde, entourée de colonnes et surmontée d’un fronton comme un petit temple spécial. Les divinités sont en pierre et présentent des statues ou des rondes bosses plutôt que des bas-reliefs. Toutes celles que j’ai regardées avec attention, m’ont paru être d’un seul bloc d’un grès fin et assez blanc. Quelquefois et comme pour augmenter la difficulté, elles paraissaient taillées dans la même pierre que la niche. Comme la plupart sont plus grandes que nature, on comprend quels blocs il a fallu transporter pour les produire. Elles représentent dans toutes leurs bizarreries les nombreuses divinités que la superstition indoue s’est plu à inventer. Les unes ont des têtes d’éléphant, d’autres de cheval, de