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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/52

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soin de les nettoyer tous les ans pour leur donner le brillant de l’or.

Les portes pyramidales de Chillambaran sont les plus grandes que j’aie vues : mais la même disposition existe pour les plus petits temples. On s’arrête longtemps à les contempler, et on fait bien : car à peine sont-elles franchies que l’étonnement cesse, on ne voit plus rien qui surprenne. À Chillambaran, cette impression est diminuée par la grandeur réelle de plusieurs édifices ; mais dispersés sans ordre sur une vaste surface dallée, ils exigent l’examen pour attirer l’attention. Le plan que j’en ai dressé sert à en donner les positions et les dimensions respectives. Leurs numéros se rapportent à la légende et permettent de se référer aux détails que je puis donner et à suppléer à ceux qui exigeraient un cadre plus large que celui-ci.

L’intérieur de la seconde enceinte contient, outre trois grands groupes principaux de chapelles un grand nombre de petites pagodes dispersées çà et là, sans ordre architectural, un de ces ghauts ou étang sacré, sans lesquels, aucun édifice religieux et même aucun bourg ou hameau ne serait complet dans l’Inde ; car toutes Les castes soumises aux lois de Manou sont astreintes à de nombreuses ablutions quotidiennes. Le ghaut de Chillambaran est un quadrilatère de cent mètres sur soixante-quinze, encadré sur tout son pourtour par un large escalier de granit surmonté d’une galerie presque toujours double, comme l’indique la section que j’en donne page 42. Rien de plus curieux que l’aspect de ces piscines, le matin, alors que les Indiens, drapés d’étoffes légères, y viennent silencieux, recueillis, en se frottant dévotement les dents avec une racine prescrite, tandis que de l’autre main ils portent le petit vase de cuivre et la cendre de bouse de vache, indispensable à leurs actes de dévotion. Arrivés sur le bord de l’étang, ils font de nombreuses prières, s’agenouillent et se prosternent à diverses reprises ; ils se découvrent et ne gardent qu’une sorte de grand mouchoir tourné autour des reins. Alors ils vont se baigner, répètent des prières et se versent de l’eau sur la tête et sur les bras avec leur pot de cuivre. Quand ils sont sortis de l’eau et séchés, ils retournent à leur natte, se prosternent encore et prennent sur trois de leurs doigts de la cendre de bouse de vache pour tracer, trois par trois, des lignes horizontales sur leur front, quelquefois sur leurs joues, sur les bras au-dessus du coude et sur la poitrine. Alors ils retournent chez eux.

Je vis une fois, dans une des pagodes secondaires, les brahmes occupés à faire des guirlandes de fleur de jasmin et à placer leurs nombreuses lampes. Il y avait beaucoup de sculptures, de lampes en cuivre de formes très-variées et souvent gracieuses. Le désir de faire du mystère a naturellement amené les brahmes à se confiner dans un réduit, où l’on n’arrive qu’après avoir passé au moins six portes dont quatre dans des enceintes élevées. On dirait vraiment qu’à mesure qu’ils se sentent plus chez eux, ils savent qu’il n’y a pas besoin d’en imposer au public et ils se laissent même aller à une grande négligence : car plus on avance moins on trouve de soin et de propreté. C’est dans l’un de ces sanctuaires que l’on conserve le trésor de la pagode, qui jadis a eu des valeurs énormes et peut-être fabuleuses. On dit qu’il monte maintenant à deux lacs et demi de pagodes, c’est-à-dire 1 721 250 francs. Outre l’argent monnayé, il se compose de nombreux bijoux employés à couvrir les idoles et à orner les bayadères, pendant les jours de fêtes et les processions. Ils n’ont pas d’autre but : car les brahmes ne portent jamais d’ornements, sauf de petites boucles d’oreilles très-courtes et ornées d’une petite pierre précieuse. Quoique très-forte, cette somme n’est probablement pas exagérée, tant les habitants ont de goût pour les bijoux, au point que l’on prétend que l’Inde possède peut-être presque autant de valeurs de ce genre qu’une grande partie du reste du monde. C’est surtout à Bombay qu’on a l’idée de cette manie des Orientaux de se couvrir de bijoux et de cacher souvent de jolies femmes sous des réseaux de colliers et de bracelets. Les enfants eux-mêmes en sont chargés, dès qu’ils ont quitté la mamelle, et les perles sont payées à des prix qu’on trouverait fabuleux chez nous. On me dit que la pagode possède en outre de vastes propriétés et des redevances : il faut en effet de grands revenus pour entretenir de nombreux desservants et d’aussi vastes édifices. Si le climat est moins destructeur que le nôtre, il faut néanmoins entretenir les stucs et surtout lutter contre les herbes et contre les multipliants qui déchausseraient bientôt toutes les pierres. Les Anglais ont eu le bon esprit de respecter les biens des brahmes et de ne pas se faire des ennemis des membres d’une caste aussi influente ; ce qu’ils auraient pris n’aurait pas valu les difficultés qui en seraient résultées. Des coutumes et des superstitions des Indous, ils n’ont combattu que le sutty ou meurtre des veuves, et l’infanticide. Ils laissent les pagodes faire des dépenses considérables et déployer un grand luxe lors de leurs fêtes, qui attirent les populations voisines auprès d’eux.

En 1844, je pénétrai un peu avant la nuit dans un sanctuaire (no 29 du plan). C’est la partie la plus ancienne de toute la pagode, elle a des colonnes d’un type à peu près semblable à toutes celles des autres édifices ; leurs formes sont très-variées, comme si elles provenaient des ruines de différentes bâtisses ; les sculptures sont en partie effacées par le temps ou par des couches de chaux. Elles portent trois à quatre pierres superposées de plus en plus larges ; sur les bouts des plus hautes reposent de longues pierres qu’on prendrait pour des poutres servant à supporter les grandes dalles de la couverture ; c’est en pierre une disposition qu’on rencontre exécutée avec du bois dans les autres pays ; dans cette galerie se trouvaient divers ustensiles, entre autres un grand vase en pierre sculptée. Au bout de la colonnade, quelques marches montaient au sanctuaire où je pus voir une statue de demi-grandeur, dorée avec soin et brillante, dans laquelle je crus reconnaître Vichnou couché sur son serpent, et entouré de