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2 LE TOUR DU MONDE.

aller respirer Fair des champs et voir d’autres spectacles que ceux des boulevards, des rues, des maisons, des cafés et des boutiques. Les deux promenoirs qu’offrent aux portes de la ville les bois de Boulogne et de Vincennes, avec leurs lacs et leurs ruisseaux artificiels, sont une première satisfaction accordée à ce besoin.

Pour peu qu’on s’éloigne, — et les chemins de fer permettent de le faire en quelques instants dans toutes les directions ,— on a à choix les paysages les plus variés. Ce sont les bords fleuris (selon Mme Deshouillières ) qu’arrose la Seine : Saint-Cloud, Asnières, Argenteuil, Chatou, Saint-Germain, Maisons ; ce sont Meudon, Bellevue, Versailles, Enghien, Montmorency, etc. toute cette riche ceinture de sites intéressants, comme aucune autre capitale n’en possède.

Toutefois il semble que ce ne soit là encore qu’une suite de riants faubourgs de la grande cité : les villages par leurs accroissements successifs se rapprochent et se soudent ; les maisons de campagne avec leurs clôtures confinent à d’autres maisons de campagne ; les murs mitoyens se joignent aux murs mitoyens ; les champs sont occupés par les cultures. En dehors des routes tracées, quel moyen de s’aventurer au gré de son caprice sans g’exposer aux réclamations d’un propriétairel

Bi, ne pouvant entreprendre de lointains voyages, vous éprouvez cependant parfois un certain besoin de solitude et de libre circulation : si vous désirez vous reposer momentanément de l’agitation fiévreuse de Paris, fuir la cohue des gens affairés et effarés, et, sans être misanthrope, oublier un peu ces millions de visages, qui fatiguent incessamment les regards et ne rappellent guère l’idée qu’ils aient été faits à l’image de Dieu, ce n’est pas dans la campagne du voisinage de Paris que vous trouverez suflisamment l’espace, la solitude et Le recueillement. Abandonnez à ceux qui s’y complaisent les illusions champêtres, le charme banal de ces paysages sans caractère. Allez un peu plus loin seulement ; allez à Fontainebleau, et là vous serez tout à coup transporté au milieu d’une nature agresle et sauvage, d’un aspect tout à fait nouveau ; au milieu de vieilles futaies d’un âge inconnu ailleurs, de déserts sablonneux, de rochers aux formes étranges et offrant un chaos de ruines amoncelées, comme les épaves des dernières révolutions du globe ; paysage singulier, varié, et ayant une physionomie propre, qui nc permet de le confondre avec aucun autre !

Fontainebleau possède un château royal célèbre, comme en possèdent Versailles, Saint-Cloud, Compiègne, Rambouillet ; mais c’est surtout le caractère exceplionnel de sa forêt qui fait de ce point extrême de la zone de paysages visités autour de Paris une localité si renommée et d’un intérêt si saisissant.

Il ne faut qu’une heure et demie ou deux heures pour se rendre, par le chemin de fer, de Paris à Fontaine-

bleau. On s’arrète successivement aux stations de Cha-

renton, de Maisons-Alfort, de Villeneuve-Saint-Geor-


ges, de Montgeronet de Brunoy, divisés en nombreuses villas, rapprochées comme les cases d’un damier ; de Combs-la-ville, de Lieusaint, situé à l’extrémité S. E. de la forêt de Sénart ; de Cesson, puis à la gare de Melun, l’ancienne capitale du Gâtinais, ville nommée dans les commentaires de César, et dont les annales à travers le moyen âge, suivant la loi fatale des choses humaines, rappellent de nombreux désastres, des assauts, un siège longuement soutenu avec patriotisme contre les Anglais, puis un autre souvenir, qui, bien que pacifique, domine sur ce fond commun de misères, celui d’Abailard, ouvrant, en 1102, une école publique, où il posait les fondements de sa doctrine, destinée à avoir bientôt un si grand retentissement. Si l’agréable situation de la ville, dont une partie s’élève en amphithéâtre sur le bord de la Seine, et ses deux monuments historiques, les églises de Saint-Aspais et de Notre-Dame-en-l’Ile, n’offrent point un attrait suffisant à la curiosité des visiteurs, il en est autrement du château de Vaux (aujourd’hui Vaux-Praslin), situé à quelques kilomètres au N. E, de Melun, et bâti par l’architecte Levau pour le surintendant des finances Fouquet, qui dépensa dans cette somptueuse résidence plus de dix-huit millions (d’aujourd’hui), fruits de ses exactions et de ses rapines. On sait quelle fète magnifique il y donna à Louis XIV, auquel il avait récemment oflerten pur don un million, et qu’il éblouit d’un faste insolent, que celui-ci ne pouvait égaler encore. C’est peu de temps après cette fête que Fouquet fut arrêté et jeté en prison par ordre du roi, punissant à la fois un ministre coupable d’effroyables dilapidations de la fortune publique, et un rival qui avait osé lever les yeux sur Mlle de la Vallière.

Au delà de Bois-le-Roi, l’avant dernière station, la voie ferrée s’engage à travers une extrémité de la forêt de Fontainebleau.

Le convoi s’arrête dans la gare de Fontainebleau, un peu avant le remarquable viaduc courbe de Changis, dont les trente arches de dix mètres d’ouverture et hautes de vingt mètres, franchissent d’une manière pittoresque la vallée,

De la gare on n’aperçoit ni le château, ni la ville, à l’entrée de laquelle on arrive par une belle avenue de platanes. L’éloignement de la gare du centre de la ville est pour les habitants et les visiteurs, qui affluent à Fontainebleau dans la belle saison, un inconvénient fâcheux qu’il eût été facile d’éviter. A la descente des trains du chemin de fer les voyageurs trouvent les omuibus des différents hôtels, qui tous s’annoncent (quelques-uns avec une complaisance un peu contestable ) comme situés près du château, Du reste, ces omnibus traversant la ville dans sa longueur, les déposeront, s’ils Le désirent, sur la place de Ferrare, aujourd’hui place Solferino, devant la grille de la cour d’Honneur et de l’entrée principale.

Rien de particulier à dire de la ville de Fontainebleau, qui, dans une certaine mesure, participe au mouvement de la civilisation moderne, cherche à s’em-