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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/9

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bellir, reconstruit ses édifices publics, change les dénominations de ses rues et de ses places, les remplace par d’autres à l’ordre du jour, et supprime les anciennes qui sont trop gauloises ; elle a une de ses places décorée d’une statue, celle du général Damesme, mort en 1848 ; une autre, devant la Sous-Préfecture, ornée d’une fontaine, surmontée d’un buste du peintre Decamps ; elle entretient, elle aussi, sur une autre place encore, un square planté d’arbustes exotiques ; elle fait des emprunts, comme tant d’autres villes en France, et, toute endettée qu’elle soit, elle aurait encore bien des dépenses à faire pour des améliorations utiles, dépenses que lui interdit la modicité de son budget. Les rues étant larges et les maisons n’ayant la plupart qu’un étage, la ville est ouverte à l’air et à la lumière. Isolée par la forêt qui la couvre d’un côté et par le château qui la couvre de l’autre, elle n’a qu’un commerce de consommation et point d’industrie, si ce n’est la fabrication de quelques petits articles de tabletterie en bois de genevrier. Une certaine partie des habitants est occupée à l’exploitation des grès. Pour beaucoup de personnes elle est un lieu de retraite, une dernière étape paisible et silencieuse entre la vie active et le repos éternel. Les séjours de la Cour et les visites des touristes lui communiquent seuls un peu d’animation.

Quoique Fontainebleau ne soit rien moins que le séjour des Naïades, — elles y abondent si peu que la ville a dû justement contracter un emprunt pour faire venir les eaux de la Seine, — le nom de ce pays proviendrait, suivant une étymologie longtemps accréditée, d’une source aujourd’hui à moitié perdue, située dans un jardin réservé du château. Ce nom est écrit dans les anciennes chartes : Fons Blialdi, Bliaudi, Bleaudi, Blaudi. La forme fons Blialdi est la plus ancienne et paraît être, suivant les recherches du dernier historien de Fontainebleau, M. Champollion Figeac, la forme primitive. Blialdus est un mot de basse latinité qui signifie : manteau, vêtement ; dans quelques provinces, on dit encore une blaude, un bliaud. Quant à savoir pourquoi cette fontaine aurait été appelée fontaine du manteau, il n’y a pas d’inconvénient à en rester jusqu’à plus amples informations au « quare, pourquoi » de Sganarelle. Quoi qu’il en soit, fons Blialdi est devenu en français : fontaine Bliaut, Bléaud, Blaaut. De beaux esprits ont transformé cela plus tard en Fontaine-belle-eau. Henri IV date un billet à Gabrielle d’Estrées : « De nos délicieux déserts de Fontaine-belle-eau. » Seulement, comme les traditions se perdent, ce n’était plus à l’ancienne source, mais à une nouvelle fontaine, élevée dans la cour qui porte encore aujourd’hui le nom de Cour de la Fontaine, qu’on avait fini par reporter, à cause de la beauté de sa décoration, l’origine du nom donné au château et par suite à la ville. — Tel est le dernier mot de l’érudition étymologique sur ce sujet, assez embrouillé comme on voit. Quant au lévrier favori de saint Louis, nommé Bléau, qui aurait découvert la source, il est allé définitivement rejoindre la meute légendaire du Grand-Veneur.

Les royautés de nos jours ne traînent plus après elles, comme celles d’autrefois, toute une suite de noblesse de cour. Elles ont une liste civile ; c’est-à-dire un revenu fixe, qui, bien que largement voté par les parlements, ne permet plus de faire d’aussi somptueuses folies qu’au temps des anciennes monarchies. Elles ne bâtissent plus de palais des mille et une nuits ; elles sont même tellement embarrassées de ceux que ces anciennes monarchies leur ont légués, qu’elles en transforment quelques-uns en musées, comme Versailles et Saint-Germain, passés depuis longtemps, par le non-usage, à l’état de simples curiosités.

Le palais de Fontainebleau, quoique le souverain y séjourne passagèrement chaque année, est aussi un grand corps dont la vie s’est retirée ; une sorte d’annexe géographique du musée des Souverains qui est au musée du Louvre. Pour rendre l’animation à cette grande machine, il faudrait tout un peuple de valets, de hallebardiers, de pages, de seigneurs, de nobles dames, tout un luxe de riches vêtements aux couleurs éclatantes, toute la somptuosité futile du passé courtisanesque qui a disparu avec le dix-huitième siècle.

Ce palais, dont les merveilles sont toutes à l’intérieur, est une agglomération de plusieurs châteaux groupés autour d’autant de cours et composés de bâtiments de différents âges, d’aspects irréguliers et imposants seulement par leur étendue. La partie la plus ancienne et la plus curieuse est celle des bâtiments qui entourent la cour Ovale. Par cela même que cette cour est la plus ancienne partie du château, elle se trouve aujourd’hui au centre des bâtiments qui ont été successivement ajoutés, et on n’y arrive plus directement.

L’entrée principale du château est par la cour d’Honneur désignée longtemps sous le nom de cour du Cheval blanc, à cause d’un cheval en plâtre placé au milieu, et qui avait été moulé pour Catherine de Médicis d’après celui de la statue de Marc-Aurèle sur la place du Capitole à Rome. On l’appelle la cour des Adieux depuis qu’elle a été consacrée par une grande scène de l’histoire de ce siècle, celle des adieux de Napoléon à ses soldats, au moment de partir pour l’exil de l’île d’Elbe. Il s’arrêta un instant au haut de l’escalier du Fer à cheval (qu’on remarque, dans notre gravure, p. 5, au pavillon central au fond de la cour) ; il descendit les degrés, et, maîtrisant son émotion, il adressa une dernière allocution à sa vieille garde, embrassa le général Petit, qui la commandait, et l’aigle, et se précipita dans la voiture où le général Bertrand l’attendait. Tout le monde connaît, au moins par la gravure, la peinture si vraie, si exacte, qu’a faite de cette scène Horace Vernet.

La cour des Adieux, la plus vaste des cours du château, a cent cinquante-deux mètres de longueur et cent douze de largeur. Elle était d’abord entourée de bâtiments sur quatre côtés ; Napoléon fit remplacer par une grille, en 1810, le côté des bâtiments faisant face à la ville, et ce vaste espace que la vue embrasse a par son étendue seule un caractère de magnificence. Malheu-