Sidy Ahmed Backay de Tombouctou. Au premier combat qu’il livra, Alpha Oumar eut l’avantage. Au deuxième il chassa l’ennemi, mais il perdit du butin et ses canons. Au troisième il abandonnait tout le butin fait à Tombouctou, et, après une lutte désespérée, vivement poursuivi dans sa retraite, il parvint à un jour et demi de marche d’Hamdallahi. Là il fut tué, et de son armée quelques hommes seulement rentrèrent dans cette capitale. C’était un désastre irréparable. El Hadj, trop faible pour tenir la campagne, se décida à s’enfermer dans les murailles qu’il avait fait bâtir et à y attendre l’ennemi. Mais il manqua bientôt de vivres. Assiégé par toutes les forces du Macina, et étroitement bloqué, il eut à subir toutes les souffrances de la famine. Ses Talibés en étaient réduits à manger des chevaux morts et même, dit-on, des cadavres humains. Dès lors deux versions se présentent : l’une dit qu’El Hadj espérait toujours que les Maciniens se fatigueraient et s’en iraient ; l’autre qu’il avait expédié des émissaires près des Peulhs de la montagne et attendait des secours. Toujours est-il qu’un beau jour on s’aperçut qu’un grand nombre de Talibés désertaient. Alors tous les vieux chefs, les fidèles zélateurs du prophète vinrent le trouver et lui dirent qu’on ne pouvait plus rester dans cette position, et que s’il les forçait encore à demeurer dans la ville, il répondrait devant Dieu de tous les péchés qu’ils commettaient en mangeant des chevaux et des hommes, et aussi de toutes les morts qu’il occasionnait.
El Hadj comprit que s’il résistait encore, bientôt il n’aurait plus qu’une poignée d’hommes incapables de résistance, qu’il tomberait vivant au milieu de ses ennemis, et il se décida à fuir le soir même. On fit donc tous les préparatifs de la retraite, et, au moyen de la sape, on ménagea dans la muraille une large tranchée qu’on abattit à la nuit pour fuir. Les Maciniens s’étaient aperçu de quelque chose ; peut-être un déserteur avait-il trahi ce projet ; car, bien que la nuit fût noire, lorsque la muraille tomba, la plaine fut presque aussitôt éclairée par d’immenses feux de paille préparés à l’avance, et on se mit à la poursuite des fuyards.
La femme qui donna ces détails, et qui fut prise le lendemain avec toutes les autres femmes par Balobo et Sidy, supposait qu’El Hadj s’était sauvé, mais comme elle ne citait aucun fait à l’appui de son assertion, il est permis de soupçonner qu’elle avait reçu l’ordre de parler ainsi. L’évacuation d’Hamdallahi remontait au mois d’avril 1864 et nous avait été, au mois de mai de cette même année, présentée comme une sortie triomphale d’El Hadj contre ses ennemis.
Aujourd’hui, il n’y a plus de doute à cet égard. C’est bien en fuyard qu’El Hadj est sorti d’Hamdallahi, après un siége de sept ou huit mois, pendant lequel son armée, décimée déjà par la guerre, a été réduite à bien peu de chose par les horreurs du siége et de la famine. Ce qu’on sait de plus, c’est que Sidy, fils d’Ahmed Backay, et Balobo son allié, entrés ensemble à Hamdallahi, ne se sont pas entendus pour le partage de leur proie et que peu de jours après ils ont abandonné leur conquête.
Quant à l’existence d’El Hadj, nous sommes d’autant plus fondés à n’y plus croire, qu’il est notoire que depuis les événements dont il vient d’être question, ni lui ni ceux de ses fils qui l’avaient suivi dans l’Est, n’ont été cités dans les récits plus ou moins erronés qu’on nous a faits de la guerre du Macina, récits où il y a certainement un fond de vérité qui confirme une fois de plus le vieux proverbe, qu’il n’y a pas de fumée sans feu.
D’ailleurs cette mort n’avait-elle pas été annoncée par les Bambaras ? Souqué, le chef qui fit révolter Fogni et y périt, ne promenait-il pas un mannequin (qui n’était peut-être que le bras momifié d’El Hadj), sous le nom de bras du prophète, et ne réussit-il pas ainsi à soulever presque tout le pays qui était encore soumis à Ahmadou au moment de notre arrivée ?
Enfin, peu après le siége de Sansandig, un homme de l’armée d’El Hadj, qui du Macina était venu dans cette ville, rentra à Ségou ; il fut d’abord bien accueilli, mais on ne tarda pas à apprendre que cet homme ayant été interrogé par les premières personnes qu’il avait vues avant même d’être entré à Ségou, avait ainsi répondu à leurs questions : Où est El Hadj ? — Il est mort. — Où sont ses fils ? — Morts. — Où sont Alpha Oumar, Alpha Ousman et tels et tels autres ? — Tous morts ! — Ahmadou, informé par sa police, avait fait saisir l’indiscret et, sans autre forme de procès, lui avait fait couper la tête.
Notre opinion bien arrêtée est donc que El Hadj a péri dans le courant de 1864 ou de 1865 au plus tard et que, selon toute probabilité, ceux de ses fils qui se trouvaient au Macina sont morts aussi.
Sept longs mois s’étaient encore écoulés depuis la retraite de Sansandig, quand, le 2 mai, Ahmadou me manda au palais pour terminer les affaires concernant le traité, que je relus article par article, en les lui expliquant.
Il me répondit : « C’est bien cela dont nous sommes convenus ; moi aussi j’ai mon écrit qui contient ces mêmes choses ; le voici, dans ma lettre au gouverneur. » Et il me traduisit cette lettre du texte arabe en peulh. Les articles y étaient bien contenus, mais dans un ordre différent. Alors le docteur et moi nous signâmes l’acte que je lui présentai, en lui disant de le garder, afin que si quelque blanc venait il pût le lui montrer. Mais Bobo s’y opposa ; il parla à Ahmadou à voix basse en langue houssani, et ce dernier me répondit qu’il était inutile qu’il gardât un texte qui n’avait pas de signification pour lui, puisque personne dans son pays ne savait lire l’écriture des blancs. Samba N’diaye soutint ma cause, mais Bobo l’emporta et je n’insistai pas, de crainte de faire encore retarder mon départ. En somme le traité était fait, accepté, consenti par lui, il en avait les conditions écrites en arabe et, qui plus est, gravées dans sa mémoire et dans celle des assistants