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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/108

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(et la mémoire des noirs est excellente, en raison du peu de faits qu’ils y logent).

C’était là tout ce qu’il me fallait. Du reste, Ahmadou fit immédiatement faire un double de sa lettre au gouyerneur, en me disant que de cette façon il était sûr que ce papier, conservé dans son livre (le Coran), ne serait jamais changé.

Ensuite il me dit : « Eh bien, tout est fini ; tu n’as plus qu’à préparer tes bagages pour partir. » J’allais me lever, pensant que j’aurais encore une audience dans laquelle il me remettrait le cadeau que Samba N’diaye m’avait annoncé et qu’un roi nègre qui se respecte se croit obligé de faire à un hôte qui le quitte. Mais au moment où je partais, Ahmadou reprit la parole pour me remercier de la patience avec laquelle j’avais supporté mon long séjour dans le pays, pour me faire des protestations d’amitié, pour me dire qu’il savait bien que je l’aimais aussi et qu’aucun envoyé n’eût pu faire plus que je n’avais fait pour bien arranger les affaires, et une foule d’autres protestations de ce genre.


San Farba, griot influent à Ségou. — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.

Je lui répondis que j’avais beaucoup souffert, mais que le jour où je partirais tout serait oublié, que j’étais venu pour une mission sérieuse, que j’avais cherché à faire le bien de son pays en même temps que celui des blancs et que je n’avais plus rien à demander, maintenant que les affaires étaient arrangées et que mon seul vœu était de partir sans plus de retard.

Il me dit alors qu’il avait préparé ce qu’il voulait me donner en signe d’amitié, que c’était peu, trop peu même, mais qu’il savait que les blancs ne regardent pas aux richesses, mais à l’intention.

Je lui répondis que cela avait peu d’importance, que partir était tout, et que si petit que fût son cadeau, j’étais content de ce qu’il me donnait en signe d’amitié et de satisfaction pour la manière dont je m’étais conduit vis-à-vis de lui ; que quant à moi, j’avais déjà beaucoup reçu de lui pendant mon séjour et que j’eusse désiré lui faire un beau cadeau avant de partir, que mes ressources étaient bien minces, mais que néanmoins je ne partirais pas sans lui laisser un souvenir.

Il sortit alors de dessous ses vêtements deux bracelets d’or, du poids de 200 gros chacun et il les passa à Samba N’diaye en lui disant : « C’est pour le commandant, » et cela avec une telle intonation qu’elle frappa tout le monde, même Quintin. Puis il ajouta : « J’aurais envoyé un cadeau pour le gouverneur, mais dernièrement j’ai appris que Faidherbe (sic) qui t’a envoyé était parti de N’dar (Saint-Louis)[1] ; et comme je ne connais en aucune maniére le nouveau gouverneur, que je ne puis pas même savoir s’il sera bon pour moi, je ne lui enverrai pas de cadeau avant le retour de mon messager, qui va vous accompagner. Alors je saurai ce que je dois faire. »

Insister eût été avoir l’air de demander un cadeau pour le gouverneur ; je ne crus pas devoir le faire.

La conversation alors continua, générale et sans but bien arrêté ; mais cependant Ahmadou, à un moment, me dit, et je lui fis répéter, que s’il venait encore

  1. La santé du général Faidherbe, rudement éprouvée par le climat de la Senégambie et des labeurs sans trêve, venait de le forcer en effet à demander son rappel. Il commande en ce moment (1868) la subdivision de Bône (province de Constantine).