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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/111

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elles étaient fourbues. Nous arrivâmes au petit trot sur la berge située en face du poste, presqu’au même point où le 18 juillet 1857 le colonel Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal, était apparu en libérateur, à l’héroïque garnison de Médine et avait mis en pleine déroute l’armée d’El Hadj[1] (voy. p. 109). Là nous rejoignîmes notre guide qui, parti la veille au soir de Koniakary pour nous devancer, avait dormi trop longtemps en route et arrivait en même temps que nous.

Dire nos impressions au moment ou, haletants, nous nous penchions sur l’eau claire du Sénégal pour y boire ; dire de quels battements notre cœur était agité dans nos poitrines, est chose impossible ; ce pavillon tricolore surmontant les blanches murailles du poste nous assurait que nous étions en France, que désormais nous n’avions plus rien à craindre ; que bientôt nous serions dans les bras de nos compatriotes, de nos amis.

Oh ! c’est là un de ces moments inexprimables dont on peut mourir aussi facilement que dune balle ennemie, car il est vrai que la joie tue aussi bien que la douleur : mais il était dit que cette fois encore nous ne mourrions pas. Nos coups de fusil et nos cris donnèrent l’éveil. Le canot d’un traitant, du nommé Clédor, un des héros de la défense de Médine en 1857, se détacha, et quand nous arrivâmes sur la berge française, nous fûmes reçus dans les bras de l’officier commandant, qui ne nous connaissait cependant ni l’un ni l’autre et qui, réveillé en sursaut par la nouvelle de notre arrivée, osait à peine y croire.


M. le docteur Quintin. — Dessin de A. de Neuville d’après une photographie.

Que cette accolade fraternelle me fit de bien !

Il serait superflu de dire quelle fut notre réception. À Médine, à Bakel, partout sur notre route, nous marchâmes d’ovations en ovations jusqu’à Saint-Louis. La nouvelle de notre arrivée nous avait précédés de quelques jours, et sur les murs de la ville nous trouvâmes affiché de tous côtés l’avis suivant :

Saint-Louis, 15 juin 1866.

MM. Mage et Quintin sont arrivés à Médine le 28 mai, de retour de leur voyage dans l’intérieur de l’Afrique.

Le gouverneur s’empresse d’annoncer cette heureuse nouvelle à la colonie, persuadé qu’elle l’accueillera avec les sentiments qu’inspirent à tout homme de cœur le courage, la persévérance et le dévouement déployés dans les entreprises grandes, périlleuses, et qui intéressent au plus haut degré l’humanité.

Le colonel du génie, gouverneur,
Signé : Pinet Laprade.

Le même soir la colonie s’associait sous la présidence de son gouverneur pour nous offrir une fête au Cercle. Je ne crains pas de dire qu’on en garde encore le souvenir à Saint-Louis comme je le garde dans mon cœur.

J’avais appris à Médine que depuis dix-huit mois j’étais officier de la Légion d’honneur ; quelque plaisir que j’en eusse éprouvé, celui que me causa cette soirée fut plus grand encore.

Une dernière joie m’était réservée. Le courrier du 28 juin m’emportait vers la France, et si le succès de mon entreprise m’a souvent valu des témoignages d’estime et des satisfactions d’amour-propre d’un très-grand prix, aucune de ces émotions ne peut valoir cependant celle de revoir une famille tendrement aimée qui, sans nouvelles de moi pendant deux années, avait vécu de tristesses et d’inquiétudes, désespérant souvent de me revoir et à laquelle mon retour seul pouvait rendre le calme et le bonheur.

Enfin la Société de Géographie avait à juger mes travaux qu’elle avait suivis d’un œil bienveillant : elle a daigné leur donner sa sanction dans sa séance du 12 avril 1867, et m’a décerné une médaille d’or pour mes découvertes géographiques en Afrique.


CONCLUSION.

En 1863, lorsque je partais pour le voyage dont je viens d’esquisser le résumé succinct, il y avait plusieurs années que tout commerce régulier était interrompu entre le Kaarta et nos établissements de Médine et de Bakel.

Aujourd’hui ce débouché à notre commerce est ouvert.

  1. Voy. Tour du Monde, t. III, p. 31 et 32.