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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/112

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Alors on ignorait la position d’El Hadj, de ses fils, leurs forces, leurs ressources, l’histoire même de la conquête du Ségou et du Macina si intéressante pour guider la politique coloniale dans les relations que tôt ou tard elle doit établir avec ces pays riverains du Niger.

Aujourd’hui nous savons qu’El Hadj est mort, que son fils Ahmadou pourra résister longtemps encore à la révolte du pays contre lequel il lutte, mais que s’il maintient encore sa position, ses forces diminuent, que ses Talibés se lassent et que ses recrutements sont de plus en plus difficiles ; que par conséquent il n’est pas probable qu’il parvienne jamais à affermir son autorité et à établir un gouvernement régulier dans le vaste territoire que lui a légué son père, entre des populations hostiles par leur origine, ou aliénées par sa politique barbare.

Aussi, bien qu’Ahmadou nous ait montré quelque empressement à établir des relations commerciales avec nos comptoirs, bien qu’il ait envoyé un de ses Talibés saluer le gouverneur, je pense qu’on ne saurait en ce moment attendre de ces pays éloignés d’autre commerce que celui de l’or du Bouré, qui remonte jusqu’à nos comptoirs par la voie de Nioro et de Kita, et de temps à autre l’arrivée d’une caravane venant de Ségou.


M. Mage. — Dessin de A. de Neuville d’après nature.

Le résultat le plus efficace de mon voyage sera certainement de permettre aux nombreux Diulas qui peuplent le Diafounou, le Guidimakha, le Diombokho, le Kaniarémé et en général tout le Kaarta, de venir s’approvisionner de marchandises dans nos comptoirs, et d’aller, à la faveur de périodes de calme, les échanger à Ségou contre de l’or et des esclaves. Ces derniers, non dépaysés, s’établiront autour de leurs nouveaux maîtres, prospéreront dans ces provinces dépeuplées par la guerre, y augmenteront la production, c’est-à-dire les richesses, et par conséquent le commerce.

Quant à nos résultats géographiques, ils sont tous consignés dans la carte annexée à cette relation, et un seul coup d’œil sur cette carte mise en regard de celles qu’on connaissait seules avant mon voyage, suffira pour les faire apprécier.

Si la France veut intervenir d’une manière efficace dans la politique du Soudan, il n’y a, suivant moi, qu’un moyen sérieux, c’est de remonter le Niger avec des bâtiments, soit qu’on parvienne à leur faire franchir le rapide de Boussa, soit qu’on les construise au-dessus de ce barrage.

Ma conviction est que l’opération est possible.

Une fois rendus dans le haut Niger, avec la force matérielle de chaloupes à vapeur armées de canons, il sera facile de s’y emparer de suite d’une influence considérable et d’amener la pacification générale du pays en dictant des conditions au parti que l’on soutiendra.

Cette expédition ne serait pas très-coûteuse ; elle ne demanderait qu’une bonne organisation et deux ou trois cent mille francs d’argent pour faire des cadeaux. Si elle réussissait, on pourrait dire que la civilisation aurait fait un grand pas en Afrique, car, ainsi que l’a écrit le docteur Barth avant moi :

« Je pense que le seul moyen d’implanter la civilisation en Afrique serait l’établissement de centres coloniaux sur les principaux fleuves, afin que de ces points il se produisît un rayonnement salutaire et un courant civilisateur qui ne tarderait pas à les joindre l’un à l’autre. »

Je n’ajouterai qu’un seul mot.

Tous les maux de l’Afrique proviennent de l’islamisme. Ni dans nos colonies actuelles, ni dans celles qu’on fondera plus tard, ni même quand il se présente sous les dehors les plus séduisants, comme cela arrive quelquefois au Sénégal, jamais, dans aucune circonstance ou ne doit l’encourager.

Le combattre ouvertement serait peut-être un mal, l’encourager en est un plus grand ; — c’est un crime par complicité.

Mage.