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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/128

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loin. L’hiver sera précoce. En 1853, ces mêmes collines, deux semaines plus tard, n’avaient pas encore revêtu leur blanc manteau.

« Impossible de voir une scène plus magnifiquement terrible que celle qui se déploie autour de nous. — La tempête continue à se ruer sur nous avec la même colère ; les blancs talus du cap Alexandre s’éclairent d’une lueur sinistre et se découpent sur le nuage sombre qui couvre le ciel du Nord ; au-dessus des falaises roulent et bondissent des flots immenses de neige amoncelée ; les tourbillons l’enlèvent des cimes des rochers et la font tournoyer follement dans les airs ; chaque ravin, chaque gorge en verse à l’océan des torrents épais qui, dans leur chute tumultueuse, ressemblent à l’embrun d’une cataracte gigantesque ; çà et là, à travers la changeante nuée, les rochers noirs profilent un instant leurs arêtes aiguës pour disparaître aussitôt ; le glacier qui descend vers la baie est recouvert d’un éblouissant manteau dont les plis ondoient au souffle de la tempête ; le soleil descend lentement derrière l’horizon ténébreux. Mais c’est la mer surtout qui est étrangement sauvage et d’une sinistre splendeur ! Autour du cap, elle ne forme plus qu’une vaste étendue d’écume blanchissante ; l’eau, fouettée par l’ouragan, rejaillit en gerbes immenses et retombe avec bruit sur les hauts sommets des icebergs. Mon crayon et ma plume sont également impuissants à décrire et ces masses d’écume, bouillonnant, palpitant sur la mer, au gré de la tourmente, s’abaissant
Vue du cap Alexandre. — Dessin de Jules Noël d’après le docteur El. Kane (Arctic Explorations).
dans l’abîme ou se dressant contre le ciel noir, et ces nuages échevelés et terribles qui s’élancent à travers l’espace mugissent sourdement ; l’air retentit de cris horribles, de plaintes désolées comme cette infernale clameur qui, dans le second cercle des damnés, fit pâlir le poëte de Florence, et les nuées de neige et de vapeurs, poussées par les rafales furieuses, montent et descendent et s’entre-choquent avec rage. »

« Balayés par le formidable ouragan, » comme les pâles troupeaux d’ombres que la sentence du juge des enfers précipite dans le noir Tartare, nous ne parvînmes que le 3 septembre seulement à doubler ce terrible cap Alexandre. Contrairement à l’espérance que j’avais conçue (et sur laquelle reposaient nos plans d’avenir) d’aller hiverner sur la côte occidentale du détroit, je dus me trouver heureux de trouver un ancrage sur le pourtour de la baie d’Hartstène. À peine mon pauvre petit navire, disloqué par les secousses de la tempête et les heurts des glaçons, y était-il en sûreté, que la banquise vint s’appuyer sur l’entrée de notre havre et nous y tint bloqués pour un long hivernage.

Pour extrait et traduction,
F. de Lanoye.

(La suite à la prochaine livraison.)