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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/135

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côté agréable, mais notre installation était certes la plus triste qu’il soit possible de voir. Le thermomètre marquait - 24° cent., et nous n’avions d’autre feu que celui de la lampe sur laquelle mijotait le hachis de gibier et chauffait le café qui composaient notre repas du soir. Personne ne put dormir. Notre tente était plantée sur le talus de la colline, au-dessus d’un amas de pierres, lit le plus doux que nous eussions réussi à trouver ; nous la démontâmes au clair de lune pour continuer notre route.

J’ai déjà décrit la gorge sauvage où il nous fallait péniblement cheminer avant d’arriver à l’endroit où Sonntag et moi avions pu escalader le glacier. Le traîneau était sans cesse arrêté court par les roches et les blocs de glace, et nos hommes durent l’alléger en prenant sur leurs épaules les vivres et les divers objets qui en formaient le chargement. Parvenus enfin au point où nous nous étions arrêtés la veille, nous nous préparâmes à l’ascension.

Notre première tentative d’escalade fut arrêtée par un accident qui nous inquiéta tout d’abord : l’éclaireur de la caravane perdit pied sur une des étroites marches taillées dans la paroi et glissant sur la pente escarpée, précipita à droite et à gauche ceux qui le suivaient et roula avec eux dans la vallée ; par bonheur, ils échappèrent aux rocs aigus qui perçaient la neige au pied du Frère Jean.


Le glacier de Humboldt (voy. p. 138). — Dessin de Jules Noël d’après le docteur Kane (Arctic Explorations).

Nous fûmes plus heureux une seconde fois, et après avoir hissé le traîneau au moyen d’une corde, nous poursuivîmes notre route avec assez peu d’entrain, fatigués que nous étions des rudes labeurs qui nous avaient pris une bonne partie de la journée ; la glace était raboteuse, fendillée et à peine recouverte d’un mince tapis de neige. Ma petite troupe tirait péniblement son traîneau et je marchais en avant pour lui tracer le chemin, lorsque le sol se déroba sous mes pas et je me sentis subitement lancé dans le vide ; mais le bâton que je portais sur l’épaule en prévision de l’aventure fit son devoir à point nommé et me soutint au-dessus de la crevasse jusqu’à ce que je fusse parvenu à grimper sur l’une des arêtes. J’avais couru grand risque d’étudier de très-près un intéressant problème, mais je ne fus pas du tout fâché d’attendre encore quelque temps avant de savoir au juste si les fissures du glacier en traversent toute l’épaisseur.

L’aspérité des bords de l’immense glacier vient sans doute de la forme tourmentée du terrain sur lequel ils s’appuient : à mesure que nous approchions du centre, la glace devenait plus unie, moins fendillée, et nous pûmes faire neuf kilomètres avec une sécurité relative ; la tente fut dressée, et après un bon souper de hachis de renne, de pain et de café, nous nous endormîmes profondément, beaucoup trop exténués pour nous préoccuper de la température ; elle était de plusieurs degrés au-dessous de celle de la nuit précédente.

Jusqu’ici, l’inclinaison du glacier avait été de six degrés environ ; dans notre nouvelle étape, elle tomba peu à peu à deux seulement ; nous avions quitté la glace dure, et nos cinquante-cinq kilomètres de la journée se firent péniblement sur une plaine de neige compacte et recouverte d’une croûte que le poids de notre corps brisait à chaque pas. À trois pieds de profondeur, la