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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/140

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revenir bientôt en arrière et pousser de son museau le pauvre petit être que les forces abandonnaient ; elle courait à côté de lui comme pour l’encourager. L’ennemi s’avançait toujours, les chiens oubliaient leur fatigue et tiraient de plus en plus sur leur collier : le moment critique approchait, et les angoisses de la malheureuse famille auraient ému les âmes les moins accessibles à la compassion, l’ourson ne pouvait plus marcher.

Arrivés à cinquante mètres environ, les conducteurs se penchèrent en avant, saisirent le bout de la courroie qui réunissait tous les traits et le glissèrent hors du nœud coulant : les traîneaux s’arrêtèrent soudain, et les chiens, délivrés de toute entrave, s’élancèrent après leur proie en poussant des hurlements féroces. En entendant tout près d’elle le bruit de la meute altérée de son sang, la pauvre mère comprit que la fuite était désormais impossible ; elle se retourna à demi, et s’affermissant solidement sur la neige, elle se prépara au combat avec le courage du désespoir, tandis que l’ourson, affolé de terreur, courait autour d’elle et finit par se réfugier entre ses jambes.

Jensen et Hans avaient retiré leurs carabines du traîneau et se hâtaient d’accourir, mais la meute formait avec ses adversaires un groupe si serré qu’il leur était difficile de tirer. Profitant d’un instant où l’ourse se trouvait un peu à découvert, ils la visèrent à la bouche et à l’épaule, et elle fit entendre un long rugissement de colère et de douleur ; mais ce n’étaient pas là des blessures mortelles, et la bataille continua plus terrible que
Les Esquimaux arrivant au port Foulke (voy. p. 143). — Dessin de A. de Neuville d’après le docteur Hayes.
jamais ; la neige s’arrosait de sang, un filet rouge coulait de la gueule de l’ourse, un autre tombait goutte à goutte sur sa fourrure blanche ; le petit, déchiré et pantelant, allait rendre le dernier soupir ; un de nos chiens gisait presque sans vie, et un autre marquait de larges taches cramoisies la couche de givre sur laquelle son agonie s’exhalait en faibles gémissements.

Sonntag approchait à son tour ; une décharge des trois carabines jeta le colosse sur son flanc, et les chiens s’élancèrent de nouveau à l’attaque. Quoique fort épuisée par la perte de son sang, l’ourse n’était pas hors de combat ; rassemblant ses forces, elle obligea encore les assaillants à une retraite précipitée, et ramena sous son corps ce petit pour lequel elle donnait sa vie…, mais l’ourson, à moitié étranglé par la meute acharnée, couvert d’affreuses plaies, expira. En le voyant couché immobile, sa mère oublia tout, ses blessures, son danger, la meute furieuse qui la déchirait sans relâche, et se mit à le lécher avec une tendresse passionnée ; se refusant à le croire mort, elle cherchait à le relever, elle le caressait pour l’encourager à combattre encore ; puis tout d’un coup, elle parut comprendre qu’il n’avait plus besoin de sa protection, et se retourna vers ses bourreaux avec un redoublement de rage ; pour la première fois elle essaya de s’échapper. Elle parut aussi en même temps s’apercevoir qu’elle avait d’autres ennemis que la horde aboyante qui s’acharnait sur elle. Hans s’avançait avec un épieu ; elle secoua violemment la grappe de chiens suspendue à son corps et se précipita à sa rencontre ; il jeta son arme et s’enfuit de toute la vitesse de ses jambes ; mais elle courait encore plus vite que lui, et l’Esquimau était infaillible-