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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/141

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ment perdu, si Sonntag et Jensen, qui avaient pu recharger leurs carabines, n’eussent réussi à arrêter le terrible animal en pleine course : une balle pénétra dans son épine dorsale, à la base du crâne, et il roula sur la neige imprégnée de sang.

Les victimes furent promptement dépouillées : on prépara, pour nous la rapporter, une partie de la chair de l’ourson, et les chiens purent se gorger à volonté ; puis nos gens dressèrent leur tente sur le théâtre de leurs exploits ; le lendemain ils arrivaient au navire.

Les jours suivants, un malheur, qui en engendra plusieurs autres, fondit à l’improviste sur notre petit établissement. L’épidémie qui avait décimé la race canine au Groënland se déclara parmi nos attelages, dont en quelques semaines elle enleva la meilleure partie, en nous menaçant ainsi de faire échouer nos plans et nos découvertes futures. Car, sans une bonne meute de trait, comment espérer de faire quelque tentative utile dans la direction du nord ?

Notre première pensée fut naturellement d’avoir recours aux Esquimaux pour recruter nos relais parmi eux. S’il nous était possible d’amener quelque tribu auprès du navire, nous pouvions espérer qu’elle nous prêterait ses chiens en retour de notre promesse de la nourrir elle-même, soit de nos provisions, soit des produits de notre chasse, pendant tout le temps que ses attelages seraient employés à notre service.


Kalutunah, chef d’une tribu d’Esquimaux. — Dessin de A. de Neuville d’après Kane (Arctic Explorations).

Hans fut appelé au conseil ; il nous apprit qu’une famille vivait à cent quatre-vingts kilomètres vers le Sud, à l’île Northumberland, quelques autres quatre-vingt-dix kilomètres plus loin, au midi du détroit de la Baleine, et peut-être une ou deux moins loin de nous. Nous n’hésitâmes pas longtemps, et il fut décidé que s’il nous restait encore assez de chiens à la lune de décembre, Sonntag, accompagné de son conducteur favori, prendrait le traîneau et tâcherait d’entrer en communication avec les naturels ; si, au contraire, nous n’avions plus un seul attelage, je me rendrais moi-même à pied à leurs stations, et je ferais de mon mieux pour amener les Esquimaux à Port Foulke ou à Étah. Mais la lune n’était pas encore levée, et pendant ces longues ténèbres, il nous fallait attendre encore et désirer avec ardeur que la fin de ce mois fût un peu moins malheureuse que le commencement. Quand enfin la lune se montra, l’épidémie canine nous avait laissé neuf beaux chiens composant un attelage assez présentable.

Les préparatifs n’ont pas été longs. Avec des peaux de buffle, Hans s’est fabriqué un sac pour servir de couchette, Sonntag en emporte un de fourrure d’ours qui nous vient d’Upernavik. Ils se munissent de provisions pour douze jours, mais ils ne pensent pas être si longtemps absents, même s’ils sont obligés de pousser jusqu’à l’île de Northumberland ; cette route peut facilement se faire en deux étapes ; en décembre 1854, Sonntag et moi l’avions accomplie en trois, et les chasseurs indigènes s’y rendent parfois tout d’une traite. Notre ami n’a pas voulu s’embarrasser d’une tente : naturellement l’Esquimau Hans est profès dans l’art de construire des huttes de neige, et son maître a déjà pris de bonnes leçons dans son premier voyage.

Ce départ a été l’événement de la semaine, et pour quelques moments a arraché officiers et matelots à la