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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/15

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tion, me laissaient froid ; ma tête alourdie se balançait sur mes épaules, le frisson me gagnait ; je ressentais, en un mot, tous les symptômes d’un accès de fièvre, et d’un des plus violents que j’aie éprouvés dans le cours de mon voyage. À travers les interstices d’un ciel à demi voilé, les rayons du soleil tombaient sur nous avec une lourdeur incroyable, et la difficulté de la route, qui m’obligeait à tenir constamment le cheval en main, venait ajouter à mon malaise. J’étais tourmenté d’une soif intense, et la végétation qui devenait de moins en moins touffue me laissait sans abri. Par trois fois pris d’étourdissements, je me laissai glisser de mon cheval et m’étendis à l’ombre de broussailles. Quelques gouttes d’eau de la gourde de l’un des officiers qui nous accompagnaient me ranimèrent ; mais il faut avoir passé par les fièvres du Sénégal pour comprendre ce que je souffrais. Enfin, après trois heures de marche dans ces conditions, j’arrivai au Bagoukho, torrent guéable en ce moment ; je le traversai et nous campâmes sur sa rive jusqu’à deux heures et demie. Ce temps d’arrêt me permit de prendre un peu de repos, et la fièvre se passa. Le soir, j’organisai mon campement dans un gourbi naturel formé par un arbre qui est sur le bord du fleuve, à deux cents mètres au-dessus de la chute de Gouïna.

Dès le lendemain j’envoyai tous mes hommes à Banganoura pour transporter le canot dans le bassin supérieur. Il fallut lui faire gravir une berge de dix-sept mètres presque à pic, puis, une fois sur son chariot, élaguer les arbustes, traverser deux ravins, et l’après-midi nous le lancions sur des eaux où jamais embarcation
Monts du Makagnian. — Dessin de Tournois d’après l’album de M. Mage.
européenne n’avait flotté et où je ne pense pas qu’on en voie flotter d’ici à longtemps. Jusqu’ici tout allait bien, sauf ma santé ; mais j’avais trop l’expérience des fièvres du Sénégal pour m’effrayer d’un simple accès, quelque violent qu’il fût. Aussi, quand vint le deuxième accès, je m’y attendais ; je m’étais déjà purgé ; le troisième fut tellement faible que je vis que la fièvre était enterrée sous le sulfate de quinine.

Néanmoins pendant deux jours je me sentis très-faible, trop faible même pour me mettre en route sous le soleil, et ne voulant pas perdre ce temps si précieux, je l’employai à remettre au net la carte du fleuve, à faire ma correspondance, à fixer la latitude exacte de Gouïna par plusieurs observations de hauteur méridienne du soleil, qui me donnèrent 14° 00′ 45″ nord, tandis que par estime, j’obtins, toutes réductions faites, 13° 30′ 14″ de longitude ouest.

De ma première visite à Grouïna, en 1860, j’avais rapporté une vue assez exacte de la cataracte pendant les basses eaux. Cette fois je pus donner pour pendant à mon premier dessin une vue du même grand paysage pendant les hautes eaux. Gouïna présente alors un spectacle admirable. Le fleuve, large de cinq ou six cents mètres, tombe en nappes interrompues par quelques immenses blocs de rochers, tellement travaillés et criblés par les eaux qu’elles s’en échappent en mille filets élégants qui ajoutent autant au pittoresque de la scène qu’à la masse générale de la chute. La hauteur de celle-ci n’était que de 13 mètres 50 en ce moment, elle atteint 17 mètres lorsque les eaux sont basses dans le