Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 17.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tcheitchenguak vint me voir le lendemain, il paraissait fort affligé ; il me dit que sa hutte était bien froide, qu’il n’avait plus personne peur entretenir sa lampe, et me demanda de lui permettre d’aller demeurer avec sa fille.

Mon consentement obtenu, on ne s’occupa guère de celui de Hans et la maison de neige fut délaissée. Les braves cœurs qui l’avaient habitée n’y devaient plus donner la rude hospitalité du sauvage : la cabane joyeuse était devenue « une demeure de deuil » et Tcheitchenguak la quittait pour traîner solitairement le peu de jours qu’il avait à vivre. Usé par sa longue lutte pour l’existence, il avait désormais à dépendre d’une génération qui ne se soucierai guère d’un vieillard inutile. La femme qui, seule, eut pu adoucir les chagrins de ses dernières années, était partie avant lui pour l’île lointain où ce grand esprit, Torngasoak le puissant, invite les âmes heureuses au festin éternel sur les bords toujours verts du lac sans limites ou on ne voit point de glaces, où les ténèbres sont inconnues, où le soleil plane éternellement dans un ciel d’été et de bénédictions, — dans l’Upernak, — qui n’a point de fin.


Jeune Esquimau prenant au filet des auks ou pingouins arctiques (alca ou arctica alle). — Dessin de A. de Neuwville d’après Kane (Arctic Explorations).

Départ pour le Nord. — Traversée du détroit de Smith. — Les hummocks, difficultés de la marche. — Renvoi au vaisseau de la majeure partie des hommes. — Arrivée à la côte opposée du détroit. — Nature du sol et de la glace. — Vestiges d’anciennes habitations de l’homme. - Arrêté par la glace en dissolution. — La mer libre du pôle.

Le thermomètre s’étant un peu élevé, le départ fut annoncé pour la soirée du 3 avril. Le soleil descendait encore au-dessous de l’horizon, mais la nuit crépusculaire permettait de marcher et de réserver le jour aux campements. Si basse que soit la température, pourvu que l’air soit calme, l’exercice réchauffe toujours assez, et la chaleur est beaucoup plus nécessaire pour les haltes ; en outre, la réverbération des glaces au grand soleil de midi est excessivement fatigante pour la vue, et il est assez difficile de se préserver de l’ophthalmie des neiges, maladie douloureuse et incommode ; pour nous en garantir autant que possible, nous portions tous des besicles en verre bleu.

Mes compagnons, officiers ou matelots, étaient au nombre de douze. Tout fut prêt à sept heures, et quand la petite bande s’assembla sur la glace auprès de la goëlette, le coup d’œil était aussi pittoresque qu’animé. En avant, Jensen déroulait avec impatience sa longue mèche de fouet ; huit chiens attelés à son traîneau, l’Espoir, avaient l’air aussi pressés que lui. Venait ensuite Knorr avec six chiens et la Persévérance, au montant de laquelle flottait une petite bannière bleue portant sa devise : Toujours prêt. Huit vigoureux gaillards se disposaient à tirer un troisième traîneau au moyen de cordes fixées à une sangle de toile qui entourait leurs épaules. — Près du véhicule se tenaient Mac Cormick et Dodge qui devaient le piloter au milieu des hummocks, avec sa charge, — un lifeboat en fer, de vingt-quatre pieds de long, avec lequel j’espérais me lancer sur la mer polaire. — Le mât était dressé et les voiles déployées ; au-dessus d’elles s’agitait fièrement un pavillon, consacré par les trois campagnes polaires de Wilkes, de Haven et de Kane ; à côté de lui brillaient les emblèmes maçonniques, à la tête du